Parue en octobre 2021, signée par Christophe Blain, Jean-Marc Jancovici et Clémence Sapin, la bande dessinée Le monde sans fin s’est constituée une place de choix au sein des meilleures ventes. « Aidé » par la crise énergétique, le titre propose une analyse et des solutions à des défis environnementaux et sociaux, autour de la production nécessaire pour maintenir un certain niveau de vie. Des suggestions qui sont loin de convaincre d’autres participants au débat... Lequel s’étend aux librairies.
En un peu plus d’un an de présence en librairies, Le monde sans fin a atteint les 500.000 exemplaires vendus, dont un peu plus de 12.000 la semaine passée (données Edistat). Un véritable best-seller pour la maison Dargaud, si bien que le titre occupe encore les têtes de gondole dans la plupart des grandes surfaces culturelles.
L’éditeur présente ainsi l’album : « La rencontre entre un auteur majeur de la bande dessinée et un éminent spécialiste des questions énergétiques et de l’impact sur le climat a abouti à ce projet, comme une évidence, une nécessité de témoigner sur des sujets qui nous concernent tous. Intelligent, limpide, non dénué d’humour, cet ouvrage explique sous forme de chapitres les changements profonds que notre planète vit actuellement et quelles conséquences, déjà observées, ces changements parfois radicaux signifient. »
Adoptant une posture de profane inquiet pour l’avenir de la planète et des êtres humains, Christophe Blain s’y met en scène aux côtés de l’ingénieur Jean-Marc Jancovici, lequel déroule des explications et formule des hypothèses, présentant diverses solutions, avec leurs avantages et leurs inconvénients, aux crises climatiques et énergétiques.
Une figure controversée
La figure de Jean-Marc Jancovici fait l’objet de critiques depuis des mois, avant même la parution de la BD Le monde sans fin. En juin 2021, différents médias, dont Reporterre, publiaient ainsi la tribune de plusieurs ONG dénonçant les dangers de l’énergie nucléaire.
Le texte s’ouvre ainsi : « En France, s’appuyant sur l’inquiétude liée à la crise climatique, une industrie d’État — le nucléaire — tente d’imposer ses “avantages” pour préserver le climat, en diffusant des informations souvent tronquées ou approximatives, voire mensongères. » Il incrimine ensuite « Jean-Marc Jancovici et ses réseaux, structurés autour d’une entreprise, Carbone 4, et d’une association : Le Shift Project ».
Les ONG signataires, dont Attac France et Sortir du nucléaire, dénoncent les financements de l’association apportés par EDF, Bouygues, Vinci, BNP, Veolia, Alstom ou Vicat, cimentier lié à l’industrie du nucléaire, dont certains représentants siègent au conseil d’administration.
Dans le petit monde du 9e art, Le monde sans fin a aussi suscité un lever de boucliers. L’écrivain Yves Frémion, notamment, s’était agacé dans une tribune de la présentation de l’album comme d’une BD « écologiste » par le Festival d’Angoulême, à l’occasion d’une récompense elle-même polémique. (...)
La critique de Jancovici et de son point de vue se retrouve aussi chez de nombreux militants altermondialistes, anticapitalistes et partisans de la décroissance.
Étrange erratum
Ce 22 décembre, plusieurs libraires ont reçu un message électronique de la maison d’édition Dargaud, présentant comme objet « Note à l’attention des librairies — Le monde sans fin ». Dans ce message, une « Commission Environnement », « création récente » de l’éditeur, s’adresse aux libraires en leur demandant d’inclure un erratum dans la bande dessinée — un message destiné à corriger une erreur au sein d’un livre lorsque ce dernier est déjà imprimé.
Joint au message, et lisible en fin d’article, cet erratum reprend les différentes critiques adressées à Jean-Marc Jancovici et portant sur son analyse des enjeux environnementaux. (...)
Le message évoque une orientation du livre « de tendance libérale et plutôt autoritaire », qui « défend la cause du nucléaire » (...)
Les auteurs invitent les lecteurs à être « particulièrement vigilants » à partir de la page 128, avant de les inviter à rechercher « les erreurs et les faux qui jonchent le texte ».
Erratum d’erratum
La réaction des éditions Dargaud n’aura pas tardé. Dans un message adressé aux libraires, la maison indique avoir « identifié cette semaine des activistes, dont nous ignorons tout, se présentant dans certains points de vente en se réclamant de Dargaud ou son diffuseur Media Diffusion ». « Ces personnes demandent aux libraires d’insérer un tract dans l’album Le Monde sans fin, tract dont les propos sont diffamatoires envers le contenu et les auteurs de l’album, et ne reflètent évidemment aucunement la position de l’éditeur ni de son diffuseur », souligne encore l’éditeur.
La filiale du groupe Média-Participations ainsi que le diffuseur Media Diffusion « condamnent fermement cette action infamante et vont engager les poursuites judiciaires nécessaires ». Sans doute à cette fin, ils demandent aux libraires de leur indiquer les visites reçues ou les documents glissés dans les albums.
Sur les critiques elles-mêmes, l’éditeur n’a pas encore réagi. Nous avons interrogé les éditions Dargaud et sommes en attente d’une réponse. (...)