
Promise par le roi Mohammed VI en juillet 2020 au sortir de la première vague de Covid-19, cette réforme structurelle engage des défis considérables.
Le projet du royaume de généraliser sa couverture médicale – en gestation depuis plusieurs années – n’est plus une ambition lointaine : en pleine pandémie, il entre dans sa phase concrète. (...)
Malgré son économie dynamique, le Maroc accusait jusqu’alors un retard en matière de protection sociale sur ses voisins du Maghreb. Seuls les salariés des secteurs public et privé bénéficiaient d’une couverture maladie, laissant une large frange de la population sans filet.
A compter de janvier, et de manière progressive, les indépendants (commerçants, artisans, agriculteurs, autoentrepreneurs…) – ainsi que leur famille –, peuvent prétendre à l’assurance maladie obligatoire. Soit 11 millions de personnes, auxquels doivent s’ajouter, d’ici à la fin 2022, les travailleurs du secteur informel et les catégories les plus démunies. Au total, 22 millions de nouveaux bénéficiaires.
Un chantier colossal
Pour les premiers concernés, ce n’est pas rien. « Cela veut dire : plus besoin de faire appel à la solidarité familiale, plus d’angoisse de devoir vendre son affaire en cas de gros ennui de santé, comme cela arrive souvent » (...)
« Désormais, les indépendants sont sur un pied d’égalité avec les employés », abonde Mohamed Chahid, membre du Syndicat national des commerçants et professionnels (SNCP). « C’est une révolution sociale. Ça va changer la vie des gens ! » (...)
Cette réforme structurelle avait été officialisée par le roi Mohammed VI en juillet 2020, au sortir de la première vague de Covid-19. Le souverain avait reconnu « un certain nombre d’insuffisances » mis en évidence par la crise sanitaire, notamment « la faiblesse des réseaux de protection sociale » dans ce pays de 37 millions d’habitants, et la nécessité de « généraliser la couverture sociale au profit de tous les Marocains ».
Après l’assurance maladie, la réforme prévoit la généralisation des allocations familiales en 2023 et 2024, puis de la retraite et de l’indemnité pour perte d’emploi en 2025. Un chantier colossal qui nécessitera 51 milliards de dirhams (quelque 4,8 milliards d’euros) par an à l’horizon 2025. (...)
Le Maroc souffre d’une pénurie aiguë de soignants et d’infrastructures (...)
L’hôpital public souffre d’un manque criant de moyens. (...)
Résultat : près de 90 % des patients assurés préfèrent se faire soigner dans des cliniques et cabinets privés, tandis que l’hôpital public s’est paupérisé, assimilé à une « médecine pauvre pour les pauvres ».
« Mettre à niveau le système de santé public » (...)
Avec l’intégration de la quasi-totalité des Marocains dans le dispositif d’assurance santé, le système sera confronté à une augmentation sans précédent de la demande. « Le projet est louable, mais il risque d’être un rendez-vous manqué si, en amont, on ne change pas le paradigme, l’organisation, la gouvernance du système pour le rendre plus équitable et performant », estime Jaâfar Heikel.
« Il est urgent de mettre à niveau le système de santé public, de le rendre attractif pour qu’il puisse attirer les assurés », plaide pour sa part Hakima Himmich, membre de la commission sur le modèle de développement.
Interrogé sur ce point, le ministère de la santé assure que la réforme s’accompagnera d’efforts en matière de recrutement, de formation, de conditions de travail des personnels soignants, ainsi que d’investissements dans les équipements publics et pour numériser le système. (...)
L’appel d’air que va créer la couverture universelle aiguise en tout cas l’appétit des cliniques privées, déjà bien implantées dans les grandes villes du pays et prêtes à investir pour assurer leur expansion.