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Côté Quartiers
"En France, les frontières sociales et raciales sont à l’oeuvre"
Article mis en ligne le 8 octobre 2010
dernière modification le 5 octobre 2010

Anthropologue et médecin, Didier Fassin est professeur en sciences sociales à l’Institute for Advanced Study de l’Université de Princeton aux Etats-Unis. Il est aussi directeur d’études en anthropologie politique et morale à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et chercheur à l’Iris. Il revient sur les grandes lignes du livre qu’il a coordonné : Les nouvelles frontières de la societé française....

L’autre en tant qu’autre n’existe qu’à partir du moment où il est défini à partir d’un soi. A un moment donné de l’histoire, l’autre peut être le juif ou le musulman, le Noir ou le Rom, le Tutsi ou le Ouighour. Bien sûr, il existe des différences de religion, de couleur, de culture, mais elles ne deviennent une altérité qu’à partir du moment où il s’agit affirmer une identité souvent pour des raisons purement stratégiques, par exemple pour prendre ou garder le pouvoir, pour justifier des inégalités ou des discriminations....

...Quand on parle de frontières, on imagine les limites d’un territoire et souvent aussi d’une nation : la frontière sépare les Français des Italiens ou des Espagnols, mais en réalité, de manière beaucoup plus efficace, elle écarte ceux dont on ne veut pas. Ce n’est pas une question de distance ni même de culture, et un Maghrébin, dont l’histoire commune récente et la proximité sont plus grandes, est généralement plus indésirable qu’un Canadien. Donc ces frontières externes distinguent des nationaux (les Français) et des étrangers (qui ne sont pas tous traités de la même manière), ainsi que des autochtones (personnes nées en France) et des immigrés (personnes nées étrangères à l’étranger). Mais il est d’autres frontières, moins visibles, qui traversent le pays ou plus exactement qui traversent l’espace social : la frontière sépare alors des personnes, qui sont souvent des nationaux (donc des Français), en fonction de leur couleur de peau, de leur origine, de leur religion. Ces frontières internes sont tellement liées à la question de l’immigration que souvent on dira « un Marocain » pour désigner un Français né en France dont les parents sont marocains, quand bien même il n’a jamais mis les pieds au Maroc, n’en connaît quasiment pas la culture, n’en pratique pas la religion dominante : en fait, elles sont souvent simplement raciales....

...les enfants d’immigrés ne bouleversent pas la France en tant que telle, mais une conception de la nation qui serait occidentale, chrétienne et blanche. Le raidissement actuel de certains sur ces questions se donne l’apparence d’une défense des valeurs dont ce triptyque serait porteur, mais on voit bien que leur attitude est précisément à rebours de ces valeurs, fondée sur l’intolérance et le racisme. Il est tout de même étonnant qu’on ne relève pas plus que ceux qui proclament la supériorité de notre modèle culturel national ou européen soient ceux-là mêmes qui en bafouent les principes et qu’à l’inverse ceux qu’on renvoie dans une supposée barbarie donnent modestement des leçons d’humanité que l’on feint d’ignorer....