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Emma Goldman : l’anarchie, « un idéal d’émancipation »
Vivre ma vie. Une anarchiste au temps des révolutions, d’Emma Goldman, traduction Laure Batier et Jacqueline Reuss, éditions L’Échappée, novembre 2018, 1.104 p., 29,90 €.
Article mis en ligne le 2 juin 2019
dernière modification le 29 mai 2019

En 1919, Emma Goldman faisait partie, selon le FBI, « des plus dangereux anarchistes d’Amérique ». Enfin traduits intégralement en français, ses mémoires, « Vivre ma vie. Une anarchiste au temps des révolutions », sont l’occasion de dépasser les clichés sur l’anarchisme.

Sous sa couverture rouge et noire, la traduction intégrale des mémoires d’Emma Goldman, révolutionnaire anarchiste et féministe, vaut son pesant de plaisir. Intitulé Vivre ma vie. Une anarchiste au temps des révolutions, ce truculent récit, tout à la fois autobiographie et reportage, fait revivre la gauche radicale au tournant des XIXe et XXe siècles, ses militants et acteurs mythiques (Pierre Kropotkine, le père de l’anarchisme moderne, Jack London…). L’anarchisme en ressort vivifié, dionysiaque et fort d’un projet d’émancipation individuelle et collective.

D’ascendance juive, Emma Goldman est née en 1869 en Lituanie, alors province russe. Bravant un père brutal qui lui refusait l’accès aux études (« La fille d’un Juif a seulement besoin de savoir découper menu les nouilles et donner à son homme plein d’enfants »), elle rejoignit sa sœur aînée à Rochester, aux États-Unis, à tout juste 16 ans. Quatre ans plus tard, bouleversée par la condamnation, « sans preuve », de huit orateurs anarchistes à Chicago, elle partit pour New York rencontrer les « cercles socialistes ». Ce fut sa « vraie naissance », celle qui ouvre le livre. Son récit se déploie ensuite jusqu’en 1928, avec un séjour de deux ans dans ce qu’elle appela la « dictature bolchevique », objet d’un passionnant chapitre : « Rêves d’une vie brisés en Russie. »
« Mon bel idéal, c’est la liberté, le droit de s’exprimer pour chacun, et pour tous le droit de jouir de belles choses » (...)

Pour le plus grand intérêt des lecteurs de Vivre ma vie, celle que la presse étasunienne appela « Emma la Rouge » ne laisse guère prise aux caricatures courantes de l’anarchiste, entre « lanceur de bombes », « brute sanguinaire », militant austère.

Est-ce dû à une « enfance épouvantable » ? Aux images inoubliables de la cruauté du régime tsariste — celle notamment d’un paysan « à moitié nu qu’on cinglait à coups de knout », ses « cris perçants », « les traits déformés des gendarmes » ? À sa connaissance intime de « l’esclavage industriel » — qu’elle partage avec ces millions d’« étrangers accueillis aux États-Unis (…) mais exploités sans pitié » ? Cette ardente militante va développer une conception de l’anarchisme qui sera « le contraire de la violence ».

Elle ne commit jamais d’attentat (une stratégie « erronée », dit-elle) et, en 1921, malgré les pressions diverses, elle refusa de fermer les yeux sur la répression et la famine en Russie au prétexte que « la fin justifie les moyens ». (...)

Comme Louise Michel, cette « femme merveilleuse » qu’elle rencontra à Londres, Emma Goldman appela le peuple « mourant de faim » à faire respecter sa souveraineté par un État « indifférent » (...) Elle le paya d’un an de prison. (...)

à une époque où ni la liberté syndicale ni la liberté d’expression n’étaient garanties, elle multiplia les prises de position publiques pour soutenir, notamment, « le droit des travailleurs à l’autodéfense » et encourager l’expérimentation collective, convaincue qu’une véritable révolution sociale ne peut advenir que « par la base ». Ce à quoi font écho les expériences de municipalisme libertaire tentées aujourd’hui. Emma Goldman s’employa par ailleurs à déjouer la « morale mesquine », cause de « grandes souffrances » et d’entrave à l’épanouissement individuel : défense de la contraception, dénonciation de l’ostracisme à l’égard des homosexuels, etc. Elle fut sans fin sur la corde raide entre émancipation individuelle et émancipation collective, les deux versants du projet de refondation sociale anarchiste. (...)