
Parce qu’ils sont étrangers, certains patients sont accusés de jouer la comédie. Au risque de passer à côté du diagnostic.
Trois semaines après l’ouverture d’une enquête préliminaire, les questions se bousculent toujours autour de la mort de Naomi Musenga. Pourquoi la jeune femme n’a-t-elle pas été prise au sérieux par une opératrice du Samu ? Les hypothèses abondent. L’une émerge, plus discrètement : Naomi aurait pu être victime d’un traitement raciste. Un préjugé répandu dans le milieu médical, qu’on nomme, entre collègues, "syndrome méditerranéen".
Derrière cette appellation faussement scientifique, se cache un stéréotype raciste. Une croyance selon laquelle les patients originaires des pays méditerranéens (Italie, Espagne, Portugal mais aussi Algérie, Maroc, Tunisie) seraient volontiers plus expansifs dans l’expression de leur douleur. Comprendre : ils en feraient des caisses pour pas grand-chose. Naomi Musenga a-t-elle été victime d’un stéréotype lié à son nom ? Aurait-elle été prise plus au sérieux si elle s’était appelée Camille Dupond ? Il est trop tôt pour le dire. Mais "l’affaire Naomi" aura toutefois déjà permis de mettre en lumière un concept aussi dangereux que nauséabond, qui circule toujours dans les couloirs des hôpitaux (...)
Les préjugés ont la vie dure. Les études sur le sujet l’ont pourtant montré : la douleur reste la même, et ce, peu importe l’origine. Dans une étude datant de 1990 et intitulée "Variations culturelles en réponse à des stimulis douloureux", les chercheurs américains D. Zatzick et J. Dimsdale expliquent qu’après avoir infligé un stimulus douloureux à plusieurs personnes de différentes ethnies (!), "il semble qu’il n’y ait pas de différences dans leur ressenti" (ô surprise).
"Aujourd’hui, ce genre d’étude ne pourrait éthiquement plus se faire, Dieu merci", remarque Melissa Dominice Dao, médecin, spécialiste des "compétences transculturelles" aux hôpitaux universitaires de Genève. Tous les jours, celle "qui travaille main dans la main avec une anthropologue", assure le lien entre personnel soignant et patients étrangers, "lorsque la communication coince".
"Les gens ressentent tous la douleur de la même manière. Mais la culture va influencer leur façon de la percevoir et de l’exprimer. Est-ce que c’est grave ou non ? Vous allez l’interpréter différemment selon votre vécu."
Mais si "certaines cultures peuvent exprimer plus facilement que d’autres la douleur, l’argument culturel n’explique pas tout", nuance-t-elle. Pourquoi certaines personnes vont-elles se montrer plus expansives ? La barrière de la langue, la précarité ou encore la discrimination sociale peuvent en partie l’expliquer, note la spécialiste. (...)
Etre sensible aux conditions sociales, aux différences culturelles de chacun, sans tomber dans la stigmatisation : tel est l’équilibre à trouver pour le personnel soignant. "Sans ces connaissances, on n’adopte pas toujours la meilleure réaction face au patient", reconnaît Thibault, bientôt infirmier.
Difficile de mesurer l’ampleur de ces discriminations. La profession se montre, comme toute corporation, plutôt frileuse à l’idée de critiquer ses pairs, voire à remettre en question ses méthodes. Surtout, faute de statistiques ethniques, impossible de mesurer le nombre de patients victimes de traitements racistes en France. (...)
Dès lors, comment sensibiliser le personnel sur les dangers de ces stéréotypes ? En renforçant d’abord la prévention dans les facultés de médecine. (...)
"Il faut provoquer une prise de conscience, en invitant dans les amphithéâtres des personnes qui ont vécu des situations de discrimination." Maltraitance gynécologique, racisme, homophobie, grossophobie... Il y aurait l’embarras du choix.
Des témoignages essentiels, juge-t-il, puisque "la réalité ne sera jamais aussi bien décrite que par ceux qui la vivent".