
De très bons livres ont été écrits, par George Orwell ou Victor Klemperer par exemple, sur la novlangue totalitaire, stalinienne ou nazie. Alain Bihr plus récemment a très bien répertorié et déconstruit la novlangue néolibérale, Myriam Marzouki celle de la Tunisie benaliste et Akram Kelkaïd celle du despotisme qatari. Mais il s’est aussi constitué en France, ces dernières décennies, une novlangue de gauche, consistant pour une large part en un mélange subtil entre la phraséologie stalinienne et les derniers acquis du jargon néolibéral, publicitaire et entrepreneurial...
Comme les autres novlangues, la novlangue de gauche se caractérise avant tout par une grande pauvreté, et par la récurrence de quelques mots-clé, quelques substantifs, quelques adjectifs et quelques verbes au fort pouvoir incantatoire, glissés pour cette raison à tous les coins de phrase, de manière à relever, enjoliver ou tout simplement gonfler, remplir, meubler un discours souvent indigent quant au fond. Car il faut tout de même signaler cette différence notable avec la novlangue totalitaire ou néolibérale : ce n’est pas la violence d’Etat, ou l’exploitation économique féroce, que vient masquer, enjoliver et enchanter la novlangue de gauche, mais plutôt le vide sidéral de la pensée.
Le collectif Les mots sont importants se propose donc aujourd’hui d’initier ses lecteurs et lectrices à cette langue de bois garantie 100% de gauche, qualité française, qui a nourri depuis trente ans plusieurs trentaines d’appels et de manifestes à "recréer du lien", "rassembler", "refonder à gauche" et retrouver, "tous ensemble" bien entendu, "l’espoir" d’une "transformation sociale" – cela à base de "convergences" et de "rendez-vous unitaires" plus que d’idées politiques bien précises.
Voici donc un petit kit de 23 mots-clés, permettant à tout un chacun de se fabriquer son propre petit manifeste de la refondation unitaire à gauche. En assemblant, dans plusieurs ordres possibles, les noms, les adjectifs et les verbes qui suivent, vous pourrez aisément, sans même inclure la moindre analyse ou la moindre proposition politique précise, créer ex nihilo un beau discours qui présentera toutes les apparences du sérieux et vous ouvrira sans doute la porte d’une publication dans L’Humanité ou dans Regards – voire, qui sait, une place à la tribune d’un meeting du Front de gauche.
Afin de vous aider dans vos premiers essais, un modèle vous est ensuite proposé, dont vous apprécierez l’efficacité. (...)