Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Nouvelles de Dakar
Drogues : le Sénégal, zone de trafic, de consommation et de production
Article mis en ligne le 15 septembre 2018

26 juin 2018, date de la journée mondiale de lutte contre les abus et trafics de drogues, les chiffres de l’ONUDC (Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime) font état de nouvelles tendances sur la consommation de drogues en Afrique de l’Ouest. A l’instar des autres pays de la région, le Sénégal voit sa consommation d’opioïdes exploser, tandis que la consommation de « drogues dures » (cocaïne et héroïne) a tendance elle aussi à augmenter.

« La plateforme africaine s’est imposée dans les années 60– 70 comme nouveau lieu de passage pour le trafic de drogues. Comme les voies habituelles empruntées pour acheminer la marchandise jusqu’en Europe étaient très surveillées, que de nouvelles villes et routes sont sorties de terre, les narcotrafiquants ont changé de stratégie », explique Babacar Diouf, chargé de la réduction de la demande de drogue au sein de l’ONUDC. Acheminée depuis l’Amérique Latine, la cocaïne transite ainsi par l’Afrique de l’Ouest avant d’atteindre l’Europe. Même schéma pour l’héroïne qui elle provient surtout d’Asie. Zone de transit au départ, l’Afrique de l’Ouest est peu à peu devenue une région consommatrice.

L’Afrique, un marché émergent
« Tout ne transite pas, une certaine quantité reste aussi ! » souligne l’expert avant d’ajouter que

« comme l’Afrique de l’Ouest est sur la route du trafic international, un marché local s’est peu à peu créé ».

D’autant plus que l’Afrique est un continent jeune, très jeune : 50% de la population a moins de 25 ans. Des consommateurs idéaux. Cette démographie galopante, accompagnée d’une urbanisation fulgurante et de l’émergence d’une classe moyenne avec un pouvoir d’achat plus important constituent un marché émergent rêvé. Le faible contrôle aux frontières et l’importante corruption présente au sein des différents pays du continent finissent d’en faire un contexte favorable pour les narcotrafiquants !(...)

Le lien trafic de drogue-réseaux djihadistes a par ailleurs été démontré. « Certains groupuscules ou milices extrémistes présents dans la région couvrent des territoires et agissent comme des douaniers. Ils peuvent sécuriser certaines routes en nouant des alliances avec des trafiquants afin d’en tirer un profit. Il y a également le fait que ces combattants prennent souvent des drogues. Étant eux même consommateurs, le lien trafic de stupéfiants ne fait plus de mystère », analyse le chargé de l’ONUDC.

Zone de transit, de consommation mais aussi de production depuis peu. En effet, des laboratoires clandestins ont récemment été démantelés en Guinée tandis que d’autres sont suspectés dans tous les pays de la sous région. « Des saisies importantes par les douanes sénégalaises de methamphétamines et d’amphétamines, très prisées par le marché asiatique, laissent penser que des filières de production destinées à l’exportation existent », pointe Babacar Diouf.(...)

Des substances qui évoluent
Comme dans la majeure partie des pays de la région, la consommation de cannabis existe depuis des siècles. Un climat idéal pour la culture et une consommation inscrite comme une tradition dans certaines zones qui en font un « usage culturel » lors de rites initiatiques par exemple, sans compter un faible coût (à partir de 500 fcfa les 4-5 joints locaux) expliquent la forte consommation de cette drogue au Sénégal.(...)

Depuis quelques années, d’autres substances font leur apparition. Dans son rapport 2018, l’ONUDC (Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime) pointe la consommation grandissante des opiacés. Beaucoup de médicaments sont ainsi détournés de leur usage initial pour être pris comme drogue. Le dernier produit qui inquiète ? Le tramadol, un opioïde utilisé pour traiter les douleurs modérées à sévères. « Ces médicaments se trouvent sur le marché noir, on parle de médicaments de la rue. On peut aussi les obtenir en pharmacie même sans ordonnance ! », souligne Babacar Diouf. Peu chers (moins de 1 000 fcfa la boite), la dépendance est rapide. L’enquête de l’ONUDC a ainsi révélé que lorsque les troubles liés à l’usage de drogues sont la cause des décès, ce sont les opioïdes qui causent le plus de dommages et représentent 76% de ceux-ci. Les saisies d’opioïdes pharmaceutiques – principalement le tramadol en Afrique de l’Ouest et du Centre, et l’Afrique du Nord représentaient 87% du total mondial saisi en 2016. (...)

La consommation d’héroïne et de cocaïne augmente également d’années en années. La fabrication mondiale de cocaïne en 2016 a atteint le niveau le plus élevé jamais enregistré, avec une production estimée à 1.410 tonnes.(...)

La polytoxicomanie est devenue une problématique majeure soulignée par le rapport de l’ONUDC. Plus à même d’avoir des comportements à risques, les usagers de drogues sont aussi largement touchés par le VIH (Sida), notamment les UDI.

Géographie des zones impactées
L’addiction à ces substances illicites touche toutes les couches de la population. Du fait des prix faibles des drogues, celles-ci sont facilement accessibles. Les consommateurs sont loin de faire tous partis d’un milieu défavorisé. Au contraire, de nombreux travaillent, ont une famille et certain un niveau de vie très confortable.(...)

Rares sont les pays africains à avoir mis en place un plan pour lutter contre la drogue. Un manque d’action et de volonté qui s’explique notamment par une prise de conscience tardive. Pendant longtemps, ce problème a été occulté, mis sous le tapis car jugé tabou et honteux. Le consommateur, loin d’être vu comme un malade était uniquement perçu comme un délinquant. Une conception qui perdure toujours de nos jours dans un pays ou le tout répressif en matière de drogue, consommateur et trafiquant confondus, reste la norme. Pierre Lapaque a ainsi exhorté le Sénégal à ne “pas faire la politique de l’autruche”.