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Deux sœurs, trois ans et quarante-et-un jours : guide de survie à Auschwitz-Birkenau
Article mis en ligne le 21 mai 2022
dernière modification le 20 mai 2022

« Vous avez intérêt à utiliser votre cerveau pour comprendre tout ce qui se passe, trouver des astuces pour vous débrouiller. Quel est l’endroit le plus chaud, qui sont les plus dangereux, qui sert un peu plus de soupe. Les nouvelles arrivantes ont à peine le temps de comprendre comment survivre avant de mourir. »
– Rena Kornreich Gelissen, en janvier 1994, dans un entretien avec l’autrice Heather Dune Macadam qui l’aidera à rédiger ses mémoires, publiées sous le titre Rena’s Promise, « La Promesse de Rena ».

Rena Kornreich (1920-2006) avait 17 ans quand elle est arrivée à Auschwitz, en cette fin du mois de mars 1942. Elle faisait partie des 1.000 premières femmes du camp, « celles qui s’en allèrent pour connaître la peur ». Son bras a été tatoué du nombre 1716, signifiant qu’elle était la 716e femme à y pénétrer. Deux jours plus tard, sa sœur cadette Danka l’y a rejointe.

Qu’en dépit des tortures, des abus, des expériences médicales du docteur Mengele, du manque de sommeil, de nourriture et d’humanité, ces adolescentes y aient survécu trois années et quarante-et-un jours relève du miracle. Mais révèle également un formidable instinct de survie doublé d’une audace et d’une intelligence peu communes. Et probablement, en dépit de leur jeune âge, d’une fine connaissance de la nature humaine. (...)

L’histoire dans sa tête

« Je touche la cicatrice sur mon avant-bras gauche. […] Tant de personnes dans l’ignorance et tellement de questions : “Que signifient les chiffres ?”, “Est-ce votre adresse ?”, “Est-ce votre numéro de téléphone ?”
Qu’étais-je censée répondre ? “Ça a été mon nom pour trois ans et quarante-et-un jours” ?
Un jour, un gentil médecin a proposé une opération chirurgicale pour me l’enlever. J’ai donc choisi d’exciser la question de mon bras, mais pas de mon esprit –on ne pourra jamais l’effacer. »
– Rena Kornreich Gelissen, dans Rena’s Promise.

Pendant cinquante ans, Rena a préféré raconter l’histoire dans sa tête, dit-elle. Puis un jour, elle a éprouvé le besoin de se confier. Pour ses petits-enfants, pour qu’ils sachent et n’oublient pas. Mais surtout pas pour qu’ils éprouvent de la haine envers ceux qui ont opéré le génocide juif, non –parce que « haïr, c’est laisser Hitler gagner ». (...)

Emma portait un triangle noir, réservé aux « socialement inadaptés » et aux « fainéants ». La classification couvrait pêle-mêle les Roms, les alcooliques, les sans-abris, les handicapés mentaux légers, les lesbiennes et les prostituées.

Un jour que la jeune Polonaise avait commis une infraction, un SS se mit à la battre sans retenue et lui cracha sa sentence au visage : « Ton heure est venue ! » Elle ne pourrait pas, cette fois, échapper à la chambre à gaz ni tenir sa promesse à Danka. À l’heure de l’appel quotidien, Emma se dirigea vers le bureau du nazi. Quand elle en sortit, elle siffla entre ses dents à une Rena stupéfaite un bref « Disparais ! ». Rena, qui devina dans quelle catégorie Emma devait se ranger, lui fut reconnaissante jusqu’à la fin de sa vie –qui intervint finalement bien plus tard que ce qu’elle avait envisagé ce jour-là. (...)