
Malgré une forte mobilisation citoyenne, la maternité et la chirurgie d’urgence de l’hôpital de Die ont fermé leurs portes le 31 décembre dernier. Tout un territoire rural voit ainsi sa dynamique brisée, explique notre chroniqueuse. Qui accuse le manque de courage et de détermination des politiques.
(....) Le 24 novembre, la ministre de la Santé a annoncé la fermeture de la maternité et de la chirurgie d’urgence de l’hôpital de Die, avec l’accord placide de la députée et des élus locaux. En échange, elle a promis de rénover l’hôpital ainsi amputé de ses deux axes majeurs, et un bel hélicoptère. Depuis le 31 décembre, ces services vitaux sont donc fermés.
La députée ne sait pas quoi répondre quand on l’interpelle
Dorénavant, les blessés et les femmes enceintes devront se rendre à Valence ou à Gap, en moyenne à 1 h 30 de route du Diois, davantage en cas de neige ou de verglas. Rien n’ayant été anticipé, on ne sait pas exactement quel sera le protocole de prise en charge. Les pompiers volontaires, qui devront emmener les patients jusqu’à Crest, n’avaient pas l’air informés de la décision à venir, les titulaires du bloc opératoire non plus. Tout le monde est tombé des nues. À force d’interpeller, on a fini par apprendre, lors d’une rencontre avec le sous-préfet, que le Smur (service mobile d’urgence et de réanimation) de Valence devrait prendre le relais de Crest à Valence, où il y aura donc transbordement des patients. Imaginez concrètement… (...)
On parle de sages-femmes libérales qui doivent être formées pour accompagner les femmes enceintes, on parle de payer à ces dernières l’hôtel hospitalier à Valence quelques jours avant la date programmée, loin de chez elles. On parle… Mais la députée ne sait pas quoi répondre quand on l’interpelle. Les médecins « référent Samu » du Haut-Diois dénoncent le manque de concertation, déplorent la fermeture, contredisent les « raisons de sécurité », et indiquent qu’ils ne participeront pas à ce dispositif qualifié de « pis-aller ». Et on commence à parler de pertes de chance de survie et de mise en danger de la vie d’autrui. (...)
Comment diable en est-on arrivé là ? En accusant son chien de la rage, comme l’a décrit Noam Chomsky, en laissant les conditions de prise en charge à l’hôpital se détériorer depuis 31 ans, date de la première annonce de fermeture, et en jouant sur la peur des habitants.
On a entendu invoquer des problèmes de sécurité à l’hôpital de Die. Mais les mêmes, de l’Agence régionale de santé (ARS) au ministère, en passant par la députée, ont soigneusement évité de parler des problèmes de sécurité que poserait le transfert par la route. Le savent-ils seulement ? Ont-ils seulement regardé une carte ? Passé un hiver dans le Diois ? Quant à l’hélicoptère promis, ils ont omis de préciser qu’il ne serait pas toujours disponible, qu’il risquait de ne pas prendre en charge les patients dont l’état n’est pas stabilisé, et qu’il ne serait probablement pas prêt à temps, comme nous l’a confirmé le sous-préfet.
La longue dégradation organisée d’un hôpital public laissé à l’abandon depuis des années (...)
On a entendu dire que les médecins ne voulaient pas venir à Die. Mais pas un mot de ceux qui avaient pourtant postulé et dont les candidatures n’ont même pas été étudiées. Des médecins prêts à venir s’installer et à travailler ici, qui demandaient juste à être assurés que l’hôpital aurait bien son autorisation pour cinq ans, comme ça se fait partout... Sauf à Die, où l’Agence régionale de santé distille au compte-goutte, après chaque mobilisation, des renouvellements d’un an. Mais quel chirurgien, quel gynécologue, va quitter son travail pour s’installer en zone rurale pour un CDD d’un an ?
Ils n’ont pas non plus parlé de l’engorgement et du manque des moyens des hôpitaux de ville, en envoyant les accidentés et femmes enceintes à Valence, où l’hôpital est déjà tellement surchargé qu’on y soigne les patients dans les couloirs et que les personnels du bloc opératoire y sont en grève.
On a entendu beaucoup de choses, mais rien de la défaillance de l’État et des moyens qui ne sont plus alloués à la santé publique, de la tarification à l’acte qui a fait primer la rentabilité sur l’intérêt général, de la longue dégradation organisée d’un hôpital public laissé à l’abandon depuis des années.
Faute de volonté politique, on va remplacer des risques maîtrisables par d’autres qui ne le sont pas (...)
Ni la ministre, ni l’ARS, ni la députée, ni le président de la communauté de communes, ni le maire de Die n’ont voulu entendre ces alternatives et la mobilisation des habitants, qui a pourtant dépassé très largement le cadre partisan et s’est exprimée de toutes les manières possibles. Dépôt de plainte des femmes enceintes en gendarmerie, émissions de radio, lettres à la ministre, manifestations, aires d’accouchement improvisées sur un rond-point, affichage dans les rues de portraits de générations nées à Die, simulation d’exode vers Valence… On n’a pas manqué d’imagination ni de relais. Tout le monde s’y est mis : futurs parents, commerçants, habitants, et certains élus. La pétition a reçu plus de 15.000 signatures en quelques jours, on a reçu des messages de soutien et de solidarité du pays tout entier, et on a sans cesse rappelé que, deux fois déjà, en 1986 et en 2008, la population avait réussi à sauver chirurgie et maternité. (...)
Nous allons continuer à nous battre pour cette terre du Diois et ses habitants. Parce que rien n’aurait été possible sans le collectif de l’hôpital de Die pour obtenir et relayer les informations et organiser la mobilisation, l’action doit rester collective. Parce que d’autres choix sont possibles, parce que nous ne sommes pas des citoyens de seconde zone, que nos montagnes ne sont pas des déserts, et que cette fabrique de la colère qu’est la désertion des politiques doit être résolument combattue.