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Des vies de marins, à l’heure de la mondialisation
#marins #mondialisation
Article mis en ligne le 9 mai 2023
dernière modification le 8 mai 2023

Sur les bateaux, la hiérarchie des grades se double d’une hiérarchie des nationalités, et on peut y observer la division internationale du travail au sein d’une même unité de production.

Les emplois de la logistique au sens large, notamment en raison de leur fort développement, ont beaucoup retenu l’attention ces dernières années. Ceux de marins, officiers et matelots, à l’heure de la mondialisation, restent toutefois assez peu étudiés.

Le livre de Claire Flécher, sociologue, maîtresse de conférences à l’université Lumière Lyon 2, comble en partie ce manque. Il relate une enquête qui l’a conduite à embarquer à plusieurs reprises sur des navires de commerce pour se livrer à des observations et prêter parfois main forte. Elle répond ici à quelques questions pour présenter son livre à nos lecteurs. (...)

Claire Flécher : Les observations que j’ai menées à bord rendent compte de la diversité du travail sur ces bateaux : il importe d’assurer la maintenance des installations, d’effectuer la veille à la passerelle pour tout ce qui relève de la navigation, mais aussi d’assurer les tâches liées à l’activité commerciale ou à la manœuvre du navire. Enfin, il s’agit aussi de nourrir l’équipage, de maintenir le navire propre ou encore d’assurer les commandes de pièces de rechange. Toutes ces tâches sont remplies par une vingtaine de marins, officiers, matelots ou ouvriers mécaniciens, qui travaillent soit à la journée (comme c’est le cas à la machine, où les marins travaillent de 8h à 18h grâce à un système d’alerte mis en place la nuit), soit en continu par relèves de quart.

Le travail est étroitement divisé entre les différents services (...)

Sur les navires où j’ai pu embarquer (les armateurs étant français), les Français sont officiers supérieurs, les Européens de l’Est sont officiers inférieurs, les Philippins sont matelots ou ouvriers. Les rémunérations sont très inégales et varient selon le niveau de vie du pays de résidence des marins ; les français sont salariés tandis que les autres sont en « free lance ». Enfin, les durées d’embarquement, élément tout à fait essentiel, vont de deux ou trois mois pour les Français à six mois minimum pour les Philippins.

Cette division internationale du travail résulte en partie de l’action des Etats qui, comme les Philippines ou la Lettonie, ont favorisé l’engagement des hommes dans cette profession afin de pallier l’absence d’emploi sur leur sol, et en partie aussi d’actions d’armateurs qui ont vu un intérêt à accéder à des bassins d’emploi à bas coût. (...)

Comment toutes ces nationalités cohabitent-elles sur les bateaux ?

La cohabitation de ces marins issus de différentes nationalités peut en effet être mise en péril par le fait qu’ils sont constamment mis en concurrence (...)

Avec l’introduction de nouveaux outils d’aide à la navigation et de suivi à distance des navires, les marins expriment régulièrement le fait qu’ils ont le sentiment d’avoir perdu en autonomie, et d’être réduits à exécuter des ordres. De fait, il est dorénavant possible de savoir à tout instant où se trouve le navire, quel est son cap ou sa vitesse, ainsi que d’édicter ordres et contre-ordres depuis la terre. (...)

La question est complexifiée par l’usage des pavillons dits de complaisance ou de libre immatriculation : le fait que l’armateur inscrive ses navires dans une autre administration que la sienne. C’est une forme de « délocalisation sur place » pour reprendre l’expression utilisée par Emmanuel Terray (...)

Néanmoins, le secteur maritime est intéressant car c’est le seul secteur à disposer d’une convention internationale, la convention du travail maritime de 2006, qui constitue une sorte de code du travail pour tous les marins du monde, qu’elle que soit la nationalité de l’armateur, du marin, ou le pavillon du navire. Et pour le faire respecter, la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) opère sur le terrain par le biais de ses inspecteurs du travail qui permettent de répondre aux alertes des marins lorsque ces derniers sont en difficulté. Le port d’escale dispose aussi d’un droit d’inspection et de contrôle sur tous les navires s’arrêtant dans le port afin de vérifier que la convention du travail maritime est bien appliquée. Ces outils de contrôle sont fondamentaux. S’ils ne sont pas suffisants pour contrer la dérégulation du secteur – dont les conséquences (marées noires, navires et marins abandonnés, etc.) remplissent régulièrement les colonnes de nos journaux –, ils sont essentiels pour avancer vers davantage de protections pour les marins.

A bord des géants des mers, Claire Flécher 2023

La Découverte
224 pages