
« Nous ne voulons pas que des conseillers municipaux étrangers rendent obligatoire la présence de nourriture halal dans les cantines ». La dernière diatribe de Claude Guéant l’atteste : comme « Fatwa », « Jihad » ou « Niqab », « Halal » fait partie de ces mots utilisés à tort et à travers dans le seul but d’inquiéter. Qu’on l’utilise pour qualifier un restaurant, une viande ou un supermarché, quelque chose peut déjà surprendre les arabophones dans le sens induit du mot « halal » par les énoncés courants, qu’ils soient ministériels ou éditocratiques : comment cette simple qualification (qui signifie en arabe « légitime », « honnête » ou « licite ») peut-elle susciter autant de peur, voire de haine ?
La racine de ce syntagme arabe contient un sens non moins étonnant pour ses usagers francophones communs : « non sacré » – par opposition au « Haram » qui signifie « interdit », mais aussi « sacré » [1] ou « tabou ».
Définitions
En un sens donc, son antonyme « Halal » désigne aussi ce qui n’est pas tabou. Dès lors, qu’est-ce qui pourrait objectivement motiver une quelconque émotion dans l’annonce de l’ouverture d’un magasin qui vendrait de la viande « licite » ou dans l’hypothèse d’une cantine qui servirait de la viande « non tabou » ?
La culture française considère bien certaines viandes comme tabou (la chair humaine par exemple)... Deux questions apparaissent dès lors :
– pourquoi ne pas qualifier tous les restaurants en France qui ne vendent pas de chair humaine de « halal » ?
– pourquoi justement qualifier de « halal » uniquement les restaurants qui proposent des viandes non tabou pour les musulmans ? (...)
En plus d’un label commercial, il s’agit aussi, dans de nombreux énoncés journalistiques, de distinguer, de différencier de manière absolue, de coller une étiquette exotique, étrangère et inquiétante, de charger péjorativement une pratique tout à fait banale (l’interdit alimentaire) afin de mieux la disqualifier. Un label politique donc, infamant et honteux.
Car, par exemple, pour le cas du « Quick halal », de quoi s’agit-il ? Un restaurant décide, parce qu’il y a sûrement intérêt, d’étendre son offre à un nouveau segment de consommation (comme certains restaurants proposent parfois, en plus de leur menu habituel, un menu « minceur » ou « végétarien ») : l’évènement est purement commercial, il est certes lié à une situation socio-culturelle mais n’a rien à voir avec la laïcité. (...)
Le débat est ancien : pourquoi « Fatwa » en lieu et place du mot « avis » ? « Jihad » au lieu de « lutte » ? Les premiers traducteurs du Coran se demandaient déjà s’il fallait ou pas traduire le nom pourtant tout à fait traduisible du Dieu des musulmans (...)
Dire « Halal » au lieu de « comestible selon les rites musulmans », permet de créer une altérité envahissante menaçant la fameuse identité nationale sarkozienne
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La multiplication de restaurants qui proposeraient des menus végétariens aux végétariens ne menacent donc en rien mon goût pour la viande, et ne peut donc en soi rien avoir d’inquiétant. (...)
On considère classiquement la syllepse comme l’utilisation d’un même mot, répété ou non, pris à la fois dans son sens propre et dans son sens figuré. Pierre Bayard précise dans son Enquête sur Hamlet que la syllepse peut désigner aussi l’emploi d’un même mot dans deux ou plusieurs acceptions totalement différentes (« Je souffre tous les maux que j’ai faits devant Troie », Racine) et rappelle que de tels effets sont possibles même lorsque le terme en cause n’est jamais employé. Ce qui l’amène à parler de syllepse invisible lorsque une notion est implicitement présente dans l’écriture, avec deux acceptions différentes :
« Qu’il y ait un écart entre les deux utilisations du même mot par deux personnes, ou, si l’on préfère, qu’il ne s’agisse pas du même mot, c’est cela qu’essaie de penser, jusque dans ses dernières conséquences, la notion de syllepse, laquelle induit toute une conception du langage, attentive à l’opacité et à l’incompréhension ». [4]
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Ce qui est implicitement présent dans les énoncés qui s’émeuvent de l’ouverture d’un supermaché ou d’un fast food dit « halal », c’est toute l’idéologie permettant d’ethniciser les classes et les quartiers populaires de France pour mieux masquer les processus de paupérisation et de discrimination chapotés par nos dirigeants politiques avec le consentement de nos intellectuels et autres stars médiatiques.
(...) Ebuzzing