
Deux amiraux ont été mis en examen pour « homicide involontaire » à la suite de la mort en 2017 d’un plongeur démineur à cause du respirateur Crabe. La marine nationale a pourtant maintenu l’appareil en service, malgré des rapports confirmant sa dangerosité. L’actuel chef d’état-major particulier du président Macron est éclaboussé par l’affaire.
(...) vers 18 h 30, Bob Lataste a de graves difficultés à respirer. Son binôme le repère, inconscient, gisant au fond. Il parvient à le remonter. Bob Lataste est transporté en hélicoptère à l’hôpital du Havre, où il meurt à 23 h 50. Il n’avait que 24 ans.
Comment ce plongeur d’élite, sportif de haut niveau en pleine santé, a-t-il pu mourir aussi brutalement ? Une enquête judiciaire est ouverte. Dès les jours qui suivent, des collègues de la victime déclarent aux gendarmes qu’il y a un problème bien connu avec le Crabe (Complete Range Autonomous Breathing Equipment), le respirateur qu’utilisent les plongeurs démineurs : il favoriserait les œdèmes pulmonaires d’immersion, la pathologie qui a tué Bob Lataste.
Après quatre ans d’enquête, le juge d’instruction rennais chargé de l’affaire a mis au jour un véritable scandale du Crabe, que révèle aujourd’hui Mediapart. L’enquête judiciaire incrimine la marine nationale jusqu’au plus haut niveau, ainsi que l’industriel français Aqualung, pionnier et référence mondiale du matériel de plongée, cofondé par le célèbre commandant Cousteau, et filiale jusqu’en 2016 de la multinationale Air Liquide. (...)
Selon une synthèse judiciaire obtenue par Mediapart, l’enquête a établi que le Crabe d’Aqualung ne respectait pas la norme technique en vigueur et que l’armée connaissait sa dangerosité depuis au moins 2016, y compris le « risque de décès ». Il n’a pourtant été retiré du service que sept ans plus tard, en février 2023.
L’industriel et la marine nationale sont soupçonnés d’avoir sciemment exposé les plongeurs démineurs au danger, « en ayant commis une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité » qu’ils ne « pouvai[ent] ignorer », écrit le juge d’instruction.
En 2020 et 2021, il a mis en examen pour « homicide et blessures involontaires » Aqualung, ses deux principaux dirigeants, ainsi que quatre militaires, dont deux très hauts gradés : les amiraux Denis Béraud et Marc de Briançon, qui ont dirigé de 2015 à 2017 la Force d’action navale (FAN), la plus grosse branche de la marine nationale, chargée des navires de surface.
Leur successeur, l’amiral Jean-Philippe Rolland, n’est autre que l’actuel chef d’état-major particulier d’Emmanuel Macron à l’Élysée. Nommé à la tête de la FAN trois mois après la mort de Bob Lataste, il a laissé le Crabe en service, malgré deux autres accidents graves. Convoqué en juin 2020 en vue d’une mise en examen pour « blessures involontaires », il a finalement bénéficié du statut plus favorable de témoin assisté. (...)
L’enquête a aussi mis au jour les relations ambiguës entre Aqualung et le Cephismer, le centre de recherche de l’armée sur la plongée, qui semblait plus préoccupé par la défense des intérêts de l’industriel que par la sécurité des plongeurs. (...)
L’affaire a au moins eu le mérite de susciter une prise de conscience sur les relations très problématiques entre Aqualung et le Cephismer, le centre de recherche de l’armée sur la plongée. L’amiral Rolland a indiqué au juge d’instruction avoir « rétabli une distinction » entre les deux entités, et interdit au Cephismer de « codévelopper » de nouveaux produits avec l’industriel. De son côté, la marine nationale nous a indiqué qu’elle n’apporte « plus de soutien à l’export du Crabe actuellement ».#marinenationale #plongeurs