
Quand une épidémie en cache une autre
L’épidémie de bronchiolite prend de l’ampleur en France avec une forte augmentation des hospitalisations des nourrissons
Depuis des semaines, on s’interroge sur le rôle de SARS-CoV-2 dans l’épidémie actuelle de bronchiolites. Il faut bien comprendre que le terme « bronchiolites » » répond à une définition uniquement clinique (syndrome) et pas virologique. La principale étiologie de ces bronchiolites du nourrisson est habituellement le VRS (Virus Respiratoire Syncitial), mais cette année, cela ne semble plus être le cas.
Depuis au moins 6 semaines, Santé Publique France demandait qu’on ait des données relatives aux infections par SARS-CoV-2 chez les nourrissons (surtout entre 3 et 12 mois ; âge concerné par les bronchiolites graves). Dans les bulletins hebdomadaires, on pouvait trouver un encart exprimant la nécessité de documenter les infections par SARS-CoV-2 dans cette classe d’âge, afin d’évaluer l’impact de ce virus sur l’épidémie de ce qui est qualifié de bronchiolites. Puis, cette semaine, Santé Publique France s’est ravisé en changeant le texte de cet encart pour évoquer « une perturbation de la circulation du VRS à cause des mesures barrières déployées contre SARS-CoV-2 » (https://twitter.com/Ecole_Oubliee/status/1466133303841468427?s=20) : (...)
Le problème est que les données dont on dispose, montrent que la circulation du VRS est inhabituellement faible, alors que l’épidémie de bronchiolites est inhabituellement précoce. Et on manque toujours de données concernant SARS-CoV-2 chez les nourrissons. Quand on demande des données, on n’en trouve très peu, mais on entend toujours le même story telling : "arrêtez d’agiter les peurs, tous les bébés sont testés et ce n’est pas la COVID". Les données de Santé Publique France montrent, au contraire, qu’on ne teste PAS les bébés pour SARS-CoV-2, et que « l’écosystème » viral semble perturbé de manière inédite. Or depuis 2019, le seul nouveau venu dans cet écosystème est SARS-CoV-2. Il est donc très dommageable de mettre ces données « sous le tapis », au lieu de documenter la circulation de SARS-CoV-2 chez les bébés (ce qui est indispensable pour recalibrer les services de pédiatrie pour les années à venir ; ainsi que pour limiter les clusters hospitaliers et familiaux).
J’en profite pour rappeler que les consignes du Ministère de la Santé sont toujours de ne pas tester les enfants de moins de 6 ans pour dépister une infection par SARS-CoV-2 ! (https://twitter.com/Ecole_Oubliee/status/1453475276982194190?s=20) (...)
Regardons les données de Santé Publique France pour illustrer cette problématique des bronchiolites, comprendre à quel point le « story telling » de l’immunité anti-VRS soi-disant affaiblie par les mesures barrières n’est pas pertinent, et pourquoi il serait important de documenter la circulation de SARS-CoV-2 dans cette classe d’âge.
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potentiellement, le rôle de SARS-CoV-2 dans ces bronchiolites n’est pas anecdotique. Si on compare le nombre d’hospitalisations hebdomadaires (254 en région ARA), et le nombre d’infections par SARS-CoV-2 durant cette même semaine chez les 0-2 (305, à partir d’un taux de dépistage très faible), on voit que la circulation de SARS-CoV-2 pourrait presque expliquer à elle seule la flambée de bronchiolites ! Mais comme on ne dispose pas des données, il est impossible de l’évaluer. Ce n’est pas sérieux. Une veille épidémiologique se doit d’actualiser les connaissances au gré de l’émergence de nouveaux agents pathogènes, en toute transparence. (...)
Surtout quand d’autres pays, qui testent beaucoup les enfants, montrent non seulement que SARS-CoV-2 circule actuellement à des niveaux record chez les enfants (même au-delà des records documentés chez les adultes). C’est ce que fait le PHE (équivalent britannique de Santé Publique France), en publiant début novembre le rapport de l’étude épidémiologique REACT-1 : https://twitter.com/C_A_Gustave/status/1456567106561089537?s=20
Et c’est également ce que les Etats-Unis ont fait suite à leur vague massive de bronchiolites, en montrant que SARS-CoV-2 était responsable d’au moins 25% de ces bronchiolites (https://twitter.com/LeDieuJulien/status/1458828832425881601?s=20), et qu’une co-infection VRS/SARS-CoV-2 était documentée dans 55% des cas, avec des formes plus sévères de bronchiolites (https://twitter.com/tohmes1/status/1442391924611055618?s=20).
Nous avons les outils pour cette veille épidémiologique et documentation virologique. Les données sont à notre portée, encore faut-il en avoir la volonté.