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Libération/28 novembre
Derrière l’« affaire Fact & Furious », les dérives et les coups tordus de la sphère complotiste française
#complotistes #factchecking #Aberkane #FranceSoir
Article mis en ligne le 4 décembre 2022

Depuis une semaine, le youtubeur Idriss Aberkane et la plateforme conspirationniste FranceSoir concentrent leurs attaques sur un petit site indépendant de fact-checking. Une offensive, selon nos informations, qui s’est doublée d’une tentative de FranceSoir de mettre la main sur la publication.

« L’affaire Fact & Furious », qui agite les conspirationnistes français depuis une semaine, prétend mettre au jour les méthodes « mafieuses » et les compromissions du monde du fact-checking français. Elle met surtout en lumière les dérives de la sphère complotiste hexagonale, et de deux de ses principales têtes de pont : le youtubeur Idriss Aberkane et Xavier Azalbert, directeur de la publication de FranceSoir, devenu un acteur de la désinformation en France. En début de semaine dernière, les deux hommes ont déclenché une violente offensive contre un petit site indépendant, « Fact & Furious », et son fondateur, Antoine Daoust, accusé notamment de violences conjugales.

Derrière ce « raid », qui a déclenché une campagne de harcèlement sur les réseaux, et abouti à la fermeture du site, des éléments concordants recueillis par CheckNews montrent que l’opération s’est doublée d’une tentative de FranceSoir de mettre la main sur la publication attaquée. D’après nos informations, Antoine Daoust a été approché, le 23 novembre, par une personne se présentant comme émissaire de Xavier Azalbert. CheckNews s’est procuré l’enregistrement d’une conversation s’étant déroulée le 24 novembre, dont nous révélons la teneur dans cet article, au cours de laquelle un individu, identifié comme Xavier Azalbert, propose au fondateur de Fact & Furious, dans un chantage à peine voilé, de racheter le site en échange de l’arrêt des « procédures » à son encontre. (...)

Le youtubeur cible en particulier l’AFP Factuel, rubrique de fact-checking de l’Agence France-Presse. (...)

Glissade conspirationniste incontrôlée

Ce qui est inexact, Fact & Furious ayant simplement été, par convention de partenariat, et sans aucune rémunération, associé à un projet collectif ponctuel, et tout ce qu’il y a de moins secret, liant 23 médias lors de la campagne présidentielle. « Vous avez été menacé de mort, vous avez subi des violences, vous les avez fait constater par un médecin, vous avez déposé une plainte pour ça, et quand vous en parlez à l’AFP, silence total », dénonce Aberkane. Dans une interview, Azalbert livrera le même récit : « Ça s’appelle de la collusion. C’est quelque chose qui demandera une enquête judiciaire. »

Ce récit est mensonger. Malika Daoust a bien contacté l’AFP pour dénigrer son mari. Mais « à aucun moment, il n’est fait mention de violences conjugales, précise l’AFP à CheckNews. Malika Daoust traite Antoine Daoust de “menteur” et de “manipulateur”, mais cela ne va pas plus loin ». CheckNews a eu accès aux échanges, qui confirment la version de l’agence de presse. La discussion ne comporte aucune mention des faits de violence que Malika Daoust reproche à son mari. Et pour cause : l’échange avec l’AFP, le 15 mars, est antérieur d’une semaine à celle des faits de violence selon Malika Daoust, le 23 mars.

Non content d’inventer que l’AFP a « couvert » Antoine Daoust, Idriss Aberkane étend cette accusation à la totalité du « réseau » des fact-checkeurs : « Ce réseau-là pratique l’omerta. J’ai l’impression qu’on a là un réseau qui a un comportement presque mafieux. » Aucun élément n’est pourtant donné sur les personnes supposément alertées.

La suite de la vidéo est une glissade conspirationniste incontrôlée. S’appuyant sur le témoignage confus de Malika Daoust, présentée comme « lanceuse d’alerte », Aberkane dresse le tableau d’un réseau, agissant sur ordre d’un commanditaire qui désignerait les cibles – Raoult, Aberkane lui-même, le professeur Perronne – des officines de fact-checking. « Derrière tout ce que vous avez décrit, il y a une structure. Ils sont tous coordonnés », dit le youtubeur à son invitée. Aberkane parachève son édifice en affirmant que la structure Fact & Furious a en fait été fabriquée « sur mesure » pour servir de source à un circuit de « blanchiment de fausses informations ». Et que la couverture supposée des faits de violences allégués visait à protéger ce rouage d’un système : « Ils ont créé une source qui leur est utile, un pion qui est utile sur leur échiquier, et il ne voulait pas voir tomber ce pion. »
Visite sous fausse identité

Cet édifice conspirationniste, censé discréditer l’ensemble des rubriques de vérification des informations, et au premier chef Fact & Furious, a bénéficié de relais, prouvant une nouvelle fois la porosité de certains médias avec les thèses complotistes : Sud Radio ou Radio Courtoisie ont longuement donné la parole à Idriss Aberkane, élargissant encore l’audience déjà considérable du youtubeur (700 000 abonnés sur sa chaîne). Didier Raoult, sur Twitter, a relayé la vidéo d’Aberkane, évoquant des « révélations sensationnelles ». Sans surprise, l’affaire s’est accompagnée d’une campagne de harcèlement d’une extrême violence qui a dépassé la personne d’Antoine Daoust. Des utilisateurs de Twitter ont publié les noms et les visages de contributeurs de Fact & Furious, appelant les internautes à enquêter sur eux. (...)

Antoine Daoust, qui avait déjà porté plainte contre son épouse, annonce avoir également porté plainte contre Idriss Aberkane et Xavier Azalbert, ainsi que son intention d’attaquer également Didier Raoult pour avoir relayé la vidéo le mettant en cause.