
Voici un témoignage d’une scène de rue (peu) ordinaire, à Lyon.
Dans l’espace public un homme en difficulté psychique se fait menotter et laisser en plein soleil pendant presque une heure, sans qu’aucune prise en charge de ses souffrances ni bienveillance ne soient prises à son égard.
La météo était caniculaire d’après les experts, il faisait trente quatre degrés.
J’étais à Lyon, à l’angle de la rue Lanterne et de la Platière, il était onze heures. Des habitués se retrouvaient, certains bavardaient, d’autres parcouraient l’actualité dans les colonnes des journaux mis à la disposition de la clientèle.
C’est alors que j’entendis des cris, sorte de mantras rythmés, scandés par une voix rauque, comme une chanson usée. Propos injurieux qui ne faisaient pas l’éloge de la maréchaussée, des menaces de morts interféraient l’ensemble des récriminations et des doléances.
Depuis ma place, je ne voyais qu’un homme blond qui marchait de long en large tout en parlant au téléphone. Il portait un brassard-sécurité. Il paraissait nerveux, il écrivait sur un papier.
Intriguée, je m’approchai. Devant le super-marché, un homme était assis, hirsute, ébouriffé, pieds noircis et nus, un sac éventré devant lui, ses effets personnels éparpillés : un caleçon, un gobelet en carton, un paquet de gâteaux entamé. Ses mains étaient menottées dans le dos, il crachait des jurons. Il balançait son torse d’avant en arrière, à chacun de ses mouvements, sa tête venait heurter le trottoir. Macabre chorégraphie. Il était encerclé par deux policiers en uniforme et une jeune femme en civil qui portait des gants en plastique bleu. Ils n’intervenaient d’aucune façon. Arriva la voiture du SAMU, deux hommes en blouses blanches se dirigèrent vers l’homme au brassard toujours au téléphone qui me paraissait être le responsable de cette opération. Le trio échangea quelques mots, que je n’entendis pas. Aucune prise en charge ne fut apparemment décidée, les blouses blanches repartirent.
Les passants s’arrêtaient, une des caissières du super-marché apporta une bouteille d’eau à l’homme cadenassé toujours en proie avec ses démons. Il refusa l’eau en redoublant ses cris.
« Monsieur Brassard » marchait toujours de long en large, son téléphone collé à l’oreille.
Les passants se disaient sidérés par la lenteur de l’intervention concernant ce malheureux punaisé en plein soleil, qui hurlait sans relâche.
Au bout de quarante cinq minutes, une voiture de police s’arrêta, trois hommes en descendirent.
Ils se concertèrent rapidement. L’un d’eux passa derrière le dos de l’individu qui braillait toujours, il sortit de sa poche-arrière une chainette au bout de laquelle pendaient des clés, il se pencha, déverrouilla les menottes et contre toute attente intima l’ordre au pauvre bougre de déguerpir. Le garçon se dressa d’un bond, rassembla ses hardes à toute vitesse, il ne demanda pas son reste, il s’enfuit en hurlant de plus belle.
Sidération du public.
Je retrouverai le crieur vingt minutes plus tard, place Gabriel Rambaud, se livrant aux mêmes gesticulations, invectivant d’autres passants, ses proférations prouvaient qu’il n’était toujours pas réconcilié avec les représentants de l’ordre public.
Ce fait divers, cette scène banale et affligeante prouve malheureusement que la prise en charge des personnes en situation de handicap mental (même si elle n’est qu’épisodique) est loin d’être traitée. (...)
Il faisait trente quatre degrés, ce matin-là.