
En milieu libéral standardisé et mondialisé - le libéralisme étant devenu notre norme à tous- les dirigeants d’entreprise, s’ils veulent satisfaire leurs actionnaires, n’ont souvent qu’une boussole : le marché, censé les guider dans la recherche du profit. Un gouvernement, s’il entend promouvoir, voire imposer, auprès des acteurs économiques, une éthique et des pratiques industrielles plus conformes à l’intérêt général, doit manifester une volonté politique forte, faire preuve de cohérence et de ténacité, tenir un cap. Et l’Etat, après avoir beaucoup privatisé et renoncé à mieux contrôler le système bancaire lors du sauvetage des banques après la crise financière de 2009, ne dispose que de très peu de leviers et instruments de régulation propres à tempérer la logique capitaliste.
Autant dire que vouloir « reconquérir l’économie réelle » au détriment d’une économie spéculative et court-termiste est un exercice particulièrement délicat pour un gouvernement social –libéral qui aime l’entreprise et ne veut surtout pas heurter le grand patronat.
L’actuelle gouvernance de la société Renault qui fut pendant longtemps une entreprise publique et une sorte d’emblème national dans le domaine automobile illustre les difficultés auxquelles se heurte le gouvernement dès qu’il souhaite donner quelques gages de bonne volonté à ses députés frondeurs et à son électorat.
Le groupe Renault est dirigé depuis 2005 par Carlos Gohn, l’un des patrons les mieux rémunérés de France, surnommé le « cost killer » (tueur de coûts), et dont la nature profonde paraît effectivement assez insensible aux coûts sociaux et environnementaux et hostile à toute régulation d’un capitalisme patrimonial qui le gave avec une rémunération au global de 7,2 millions d’euros en 2014 selon le magazine Challenges (contre 2,37 millions en 2013). Pour Carlos Gohn, la disposition de la loi dite « Florange », votée récemment, qui prévoit d’accorder un droit de vote double aux actionnaires ayant conservé leurs titres pendant au moins deux ans afin de favoriser un actionnariat responsable et qui accompagne les projets d’entreprise était inacceptable. L’Etat a dû ainsi porter provisoirement sa participation dans l’entreprise à hauteur de 20 % afin de pouvoir contrer l’opposition du PDG et bloquer une résolution présentée par le conseil d’administration devant l’assemblée générale des actionnaires visant à empêcher l’application de la loi. L’Etat a sauvé la face mais le patron est toujours là et sa rémunération indécente a été votée par l’AG du 30 avril dernier : nul doute que sa stratégie industrielle qui lui réussit si bien mais qui a entraîné la délocalisation de nombreuses unités de production et d’ingénierie au détriment des ventes de la gamme Renault en Europe va se poursuivre quelles qu’en soient les conséquences sociales.
Carlos Gohn ne fait pas non plus grand cas de la mobilisation de François Hollande pour assurer le succès de la Conférence sur le changement climatique. Annoncer dans un tel contexte que Renault va consacrer 600 millions d’euros pour ressusciter la marque Alpine considérée comme une « marque mythique auprès des amateurs de petites voitures sportives » apparaît singulièrement décalé. Faut-il aujourd’hui, alors même qu’il est question d’abaisser encore la vitesse maximum autorisée et de multiplier les contrôles radar, stimuler chez les jeunes – ou les moins jeunes - conducteurs le plaisir de la conduite rapide ? Faut-il encore promouvoir la bagnole en tant que « divertissement » pour aller le plus rapidement possible d’un virage à un autre, pour faire vrombir son moteur, griller de l’oxygène et accessoirement apporter sa petite contribution au réchauffement climatique ? Evidemment, la réponse de Carlos Gohn est toute faite, l’argument rôdé : c’est la même qui sert aux industriels de l’armement, aux fabricants de saloperies en tous genres ; si nous ne le faisons pas, d’autres le feront et d’ailleurs ils le font déjà ! Le marché ne doit pas être pris par des concurrents étrangers. Les affaires finissent toujours par reprendre leurs droits.
C’est le printemps et le gouvernement voudrait bien gazouiller, rêver au renouveau des socialistes et à la réélection de F Hollande, nous faire croire que les socialistes vont enfin se préoccuper de social et d’écologie, mais, dans notre économie de marché et par ces temps de social-libéralisme mou , les grands patrons restent libres de suivre la pente naturelle d’un capitalisme rêvé par les actionnaires.