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le Monde Diplomatique
De Rome à Constantinople, penser l’empire pour comprendre le monde
Produire de l’unité dans la diversité
Article mis en ligne le 13 juin 2012
dernière modification le 10 juin 2012

A l’heure où des Etats-nations ploient sous les forces du marché et où chancelle la configuration géopolitique héritée de l’après-guerre, les dirigeants rêvent de stabilité. Or les formes de gouvernement mises en place par les empires fascinent par leur résistance aux soubresauts de l’histoire, leur plasticité, leur capacité à unir des populations différentes. Que peuvent-elles nous apprendre ? (...)

Le répertoire des méthodes permettant de gouverner à distance des groupes humains différents s’avère particulièrement riche. Certains empires ont développé des stratégies empruntées à leurs prédécesseurs ou à leurs rivaux. Les Ottomans sont parvenus à mêler les traditions turques, byzantines, arabes, mongoles et perses. Pour administrer leur empire multiconfessionnel, ils s’appuyaient sur les élites de chaque communauté religieuse, sans essayer de les assimiler ou de les détruire. Au fil des siècles, l’Empire britannique s’est doté d’outils de gouvernement aussi divers que les territoires sur lesquels il était amené à régner : dominions, colonies, etc. Un corps spécifique gouvernait l’Inde, un protectorat déguisé présidait aux destinées de l’Egypte, et l’« impérialisme du libre-échange » s’étendait à de nombreuses zones d’influence. Un empire jouissant d’une boîte à outils aussi bien garnie pouvait ponctuellement changer de tactique sans pour autant se voir contraint d’assimiler ou d’administrer tous ses territoires selon les mêmes mécanismes.

On observe plusieurs schémas de base, récurrents bien qu’hétérogènes, dans les modalités de gouvernement de populations variées. (...)

Nous nous trouvons aujourd’hui sur les sentiers escarpés qui conduisent à l’« après-empire », au beau milieu d’une fiction selon laquelle les souverainetés se valent… mais qui ne parvient pas tout à fait à masquer les inégalités entre Etats. Penser l’empire ne signifie pas que l’on souhaite ressusciter des mondes révolus. Il s’agit plutôt de considérer la multiplicité des formes d’exercice du pouvoir sur un espace donné. Si nous parvenons à envisager l’histoire autrement que comme l’inexorable transition de la forme empire à la forme Etat-nation, peut-être pourrons-nous appréhender l’avenir d’un point de vue plus vaste. Et envisager d’autres formes de souveraineté qui répondent mieux à un monde caractérisé à la fois par l’inégalité et la diversité.

Jane Burbank et Frederick Cooper
Professeurs d’histoire à l’université de New York, auteurs d’Empires. De la Chine ancienne à nos jours, Payot, Paris, 2011.

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