Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Slate.fr
Dans son livre, Zemmour commet onze fautes et approximations (en un seul chapitre)
Ce fact-checking a été conçu et écrit par Florian Besson et Simon Hasdenteufel, spécialistes des États latins en Orient. L’ensemble d’Actuel Moyen Âge est solidaire de cet article.
Article mis en ligne le 22 décembre 2021

Dans Destin français. Quand l’histoire se venge, son dernier ouvrage, sorti cet automne, Éric Zemmour parle abondamment de l’histoire de France. Si l’auteur prend soin de ne jamais se poser en historien, on ne l’entend pas moins affirmer dans un entretien au Point qu’il fait une « synthèse historique » et que « l’histoire n’appartient pas aux historiens ». Nous ne chercherons pas ici à disséquer la vision politique qui sous-tend son travail : d’autres le feront, et mieux que nous.

Nous nous contenterons de faire notre travail de médiévistes, donc de parler du chapitre qu’il consacre à la première croisade ; et notre travail d’historiennes et d’historiens, qui est de nous concentrer sur les faits, la seule chose qui distingue un travail sérieux d’une compilation de fake news.

En parlant d’Urbain II, Éric Zemmour note :
« On n’apprend plus aux écoliers qu’il fut le premier à appeler à la croisade »

>> Contestable

Éric Zemmour reprend ici (p.64) une idée reçue souvent avancée dans le débat public et dont l’un des plus illustres défenseurs est Dimitri Casali.

On ne parle pas de la première croisade à l’école primaire, en effet : mais on parle de Louis IX (saint Louis) en CM1, et le programme officiel précise qu’il faut l’aborder comme « un représentant de la chrétienté de son temps », notamment pour ce qui est de ses deux croisades. On imagine donc que les enseignantes et enseignants définissent, au moins rapidement, ce qu’est la croisade.

En 5e, le programme d’histoire s’ouvre par un thème consacré à « Chrétientés et islam, VIe-XIIIe siècle : des mondes en contact ». Les croisades occupent une place fondamentale dans cette partie du programme.

Et enfin, en 2de, le premier chapitre du programme d’histoire porte sur la vie religieuse dans l’Occident médiéval. La quasi-totalité des manuels (notamment le Nathan collection Le Quintrec et le Belin collection Colon, qui représentent à eux deux plus de 40% du marché) consacrent une double-page à la première croisade, dans laquelle Urbain II est largement cité.

Bref, au cours de leur parcours scolaire, les « écoliers » ont eu au moins trois occasions d’apprendre qui était Urbain II : on est très loin d’une damnatio memoriae.
« Selon le mot du grand historien René Grousset, spécialiste reconnu des croisades… »

>> Contestable

René Grousset est, sans aucun doute, un spécialiste reconnu des croisades, et plus encore un grand historien. Éric Zemmour « omet » simplement (p.68) de rappeler qu’il écrivait… dans les années 1930. Or, depuis, on dispose de très nombreuses nouvelles sources que Grousset n’avait pas : de nouvelles chroniques, notamment arabes, des recherches archéologiques, etc. Surtout, depuis, il y a eu de nombreux autres historiens qui se sont penchés sur les croisades :

En outre René Grousset développe, au fil de son œuvre, une vision extrêmement pessimiste de l’histoire : il parle déjà d’invasion venue de l’Asie, menaçant la civilisation européenne –sauf qu’à l’époque il pense davantage au Japon et à la Chine, pas réellement au monde musulman…

« La vague islamique déferle… Les Turcs seldjoukides […] se sont jetés aussitôt sur l’empire byzantin »

>> Faux (...)

C’est le leitmotiv du chapitre (p.67) : les Seldjoukides menacent l’Europe, qui n’est sauvée que par la première croisade. Là encore, il s’agit d’une affirmation au minimum réductrice. Certes, les Seldjoukides, une dynastie turque, relancent dans les années 1055-1075 une vague de conquêtes territoriales dont la manifestation la plus spectaculaire est la victoire de Manzikert, en 1071. Mais, en 1095, au moment où Urbain II appelle à la croisade, la dynastie seldjoukide, à la mort du grand sultan Malik Shah, s’est déjà elle-même morcelée en plusieurs branches rivales, ce qui met un terme à ces entreprises conquérantes.

À l’échelle de l’ensemble du monde musulman, il faut rappeler que l’islam est alors extrêmement divisé, en plusieurs califats rivaux qui s’opposent souvent plus violemment les uns aux autres qu’ils ne s’opposent aux pouvoirs chrétiens. Ajoutons en outre que le jihad n’est pas du tout à l’ordre du jour à l’époque : au contraire, ce sont les croisades qui réactiveront, en Orient, un discours du jihad. Il est donc extrêmement fallacieux de parler de vague islamique, comme si l’islam formait un océan uni prêt à déferler sur l’Europe. Au moment où la première croisade atteint son objectif, les musulmans sont au contraire politiquement divisés et très surpris par l’irruption d’armées venant de l’autre bout du monde.

« La culture grecque, c’est l’Europe »

>> Faux (...)

Deux contre-vérités dans une simple phrase (p.67). D’abord, cette « Europe » autour de laquelle Éric Zemmour construit tout son propos n’existe pas à l’époque : en particulier, le monde byzantin, de culture grecque, et le monde latin sont déjà largement distincts, voire opposés. À cet égard, il est très significatif de voir qu’Éric Zemmour gomme totalement la quatrième croisade (1204). Au cours de celle-ci, les croisés occidentaux finissent par prendre et par piller la ville de Constantinople elle-même.

À ce moment il existe de vraies tensions au sein de la chrétienté et les Grecs sont perçus très négativement par les Latins, devenant l’incarnation de la perfidie, de la couardise et de l’avarice. Les Grecs, quant à eux, considèrent les Latins comme des envahisseurs dangereux, voire comme des barbares : la chronique d’Anne Comnène, fille de l’empereur Alexis Comnène, souligne bien que Grecs et Latins ne partagent pas la même culture.

De fait, l’Europe n’émerge véritablement comme concept que dans la pensée des humanistes au XVe siècle, qui, inquiets de la montée de l’Empire ottoman, vont opposer l’Europe chrétienne à l’Asie musulmane.

Deuxième erreur : l’assimilation entre culture grecque et Europe. En effet cette culture grecque –il faudrait d’ailleurs plutôt parler de culture gréco-romaine– a également été reçue par le monde musulman. C’est d’ailleurs, dans la quasi-totalité des cas, via des textes arabes que l’Occident latin va redécouvrir le corpus grec (les textes médicaux, scientifiques ou philosophiques, notamment Aristote). (...)

« L’Église s’est pourtant attachée à contenir les pulsions belliqueuses des seigneurs […] multipliant les “paix de Dieu” […] et autres “trêves de Dieu” »

>> Faux (...)

« La croisade est une victoire française » & « Godefroy de Bouillon était (pratiquement) français »

>> Faux (...)

« La croisade aura duré moins de deux siècles »

>> Faux (...)

« Le pape Urbain II avait reçu la visite d’un Picard qu’on nommait Coucou Piètre, ou Pierre l’Hermite »

>> Contestable (...)

« On ne peut juger du bien-fondé des croisades qu’à la lueur de la chute de Constantinople devant les troupes turques en 1453 »

>> Contestable (...)

« L’affaiblissement de l’esprit de croisade ne fut pas une marque de progrès moral mais une preuve de décadence »

>> Contestable (...)

« Pour justifier leurs attaques meurtrières sur le sol français en 2015, les propagandistes du Califat islamique sonnèrent l’heure de la revanche contre les “croisés” »

>> Contestable (...)