
Nos retraites fondées sur un système de solidarité intergénérationnelle, dit par répartition, sont certainement l’un des acquis les plus précieux du mouvement ouvrier.
Le projet de loi de réforme des retraites proposé par le gouvernement Sarkozy ne relève pas d’un simple enjeu social, mais fait partie d’un projet de société, celui que nous impose le système dit néo-libéral (en fait du profit capitaliste sans entraves) depuis maintenant plus de 20 ans. C’est pour les français un pas de plus vers la paupérisation, voila pourquoi 70 % de nos concitoyens s’opposent à cette réforme injuste et inacceptable, tandis qu’ils voient sans cesse dans l’actualité des scandales financiers.
Notre gouvernement ne navigue pas du tout au "doigt mouillé". S’abritant derrière les
instances européennes, il suit minutieusement les recommandations des trans-nationales, banques mondiales, OCDE ou FMI, tous sous la férule du capital financier. Il ne s’attaque pas de front au système par répartition, mais l’affaiblit pour obliger les travailleurs à épargner et permettre ainsi aux compagnies d’assurances et aux fonds de pension de mettre "le pied dans la porte".
Il ne s’agit pas d’un complot mondial mais nous sommes cependant sur une même
ligne de conduite qui vise à satisfaire d’abord les intérêts des "dominants" de la planète et de
leurs "chiens de garde" : les actionnaires.
Quant au PS, il a déjà participé à la casse des retraites, et les propos de François
Hollande, candidat à la candidature présidentielle de 2012, sont plutôt inquiétants quand il
tente d’expliquer : " Il faut une réforme des retraites…sans doute faut-il allonger la durée des
cotisations à mesure que l’espérance de vie s’allonge ".
Le journaliste Denis Sieffert dans son éditorial du dernier Politis à bien raison de souligner que, d’une part " l’affaiblissement politique du régime n’est en rien la conséquence d’une remontée idéologique des idées de la gauche ", et d’autre part qu’"à gauche, ceux qui ont des idées sont encore inaudibles pour le plus grand nombre. Et ceux que l’on entend n’ont rien à dire".
Que peut-on attendre effectivement d’un parti qui n’exclut pas d’avoir pour candidat à la présidentielle de 2012, D.S.K. l’actuel directeur du FMI qui estime " qu’un système de retraite par répartition peut déprimer l’épargne nationale, parce qu’il crée de la sécurité dans le corps social " !
Voilà pourquoi plus les luttes seront fortes et plus le PS devra proposer pour 2012 un programme de gauche, sans plier devant les milieux d’affaires.
Nous sommes aujourd’hui à des niveaux de salaires et de retraites particulièrement insuffisants, et ce projet va considérablement diminuer le pouvoir d’achat des salariés (par l’augmentation des cotisations), comme des retraités (par la diminution des pensions).
Or, il n’y a aucun déficit du système structurel des retraites, ce qui est loin d’être le cas pour les fonds de pensions de certains malheureux retraités. S’il y a un problème de financement des retraites, la cause réside dans le gel du taux de cotisation depuis 1996. Si nous voulons résoudre les déficits conjoncturels, il faut affecter une part de la croissance du PIB à une hausse du taux de cotisation patronale. De 1945 à 1996, cette hausse avait progressé régulièrement, le taux de cotisation passant de 8 à 26% du salaire brut.
Et depuis 1996 pratiquement plus rien !
La crise économique et sociale actuelle est une conséquence directe de la faible progression des salaires (0,5 % par an, alors que le PIB augmente lui de 1,5%). Les salariés ne récupèrent donc que le tiers de la croissance qu’ils produisent ; l’essentiel va aux profits, et si on ajoute à cela le gel du taux des cotisations patronales, le salaire total (salaire direct plus cotisations), n’augmente pas comme il le devrait.
La spéculation, favorisée par un détournement de la richesse produite venant
essentiellement des profits générés par la modération salariale, a entraîné cette crise financière.
C’est à la fin des années 1970 que la classe dirigeante a décidé d’interrompre la progression salariale, et depuis nous avons perdu plus de 10 points de salaire qui représentent environ 200 milliards d’euros par an, sur un PIB de 2000 milliards. Retrouver ces 10 points entraînerait mécaniquement à la fois augmentation des salaires, des retraites et… créations d’emplois.
Certes nous travaillons de moins en moins, mais nous produisons de plus en plus. La solution n’est donc pas que nous travaillons davantage ou plus longtemps, d’autant plus que 80% des salariés de 60 ans ont acquis la totalité des trimestres nécessaires pour obtenir une retraite à taux plein.
Depuis 1993 les mesures d’allongement des durées de cotisations étaient sensées "pousser" les travailleurs à travailler plus longtemps. Dix-sept années de statistiques nous prouvent que le raisonnement était faux, puisque la cessation d’activité ne cesse de diminuer de durée , actuellement autour de 59 ans. En revanche, la liquidation de la pension a été retardée (actuellement 61,5 ans), ce qui pose un problème en particulier pour les femmes qui ont eu souvent une carrière incomplète, et sont alors victimes de la décote.
Comment s’y sont-ils pris pour interrompre la progression salariale ? En inventant un énorme mensonge sur la démographie et les jeunes : "Un jeune sur quatre est au chômage" ! Face à cela, mieux vaut un petit boulot mal payé, que pas de boulot du tout. C’est ainsi que s’est développée la précarité, l’insécurité et la flexibilité du travail, d’abord des jeunes. Et les salaires d’embauche ont été diminués petit à petit, permettant ainsi de casser la progression salariale de tous.
Malgré la masse des arguties données comme incontournables, le projet de contre-réforme des retraites proposé par le gouvernement, délégitimé par la majorité des Français, et conduit par un Eric Woerth totalement disqualifié, englué dans les accusations de népotisme, a cependant perdu toute crédibilité.
Cette réforme, si elle voit le jour, pourrait quelque peu "moderniser" la fameuse formule de Marc Twain : " Il y a quatre sortes de mensonges, les mensonges, les sacrés mensonges, les statistiques, et maintenant la réforme des retraites."
Lionel de Cahors
Le P’tit Billet / 19 -10
NB : Les propos de ce billet ont été inspirés par le sociologue et économiste Bernard Friot auteur de "L’enjeu des retraites" aux éditions La Dispute, coll. "Travail et salariat", 2010.