
Demandez à des passionné·es de cuisine, et beaucoup vous parleront de l’effet quasi-thérapeutique de quelques heures passées derrière les fourneaux
(...) Le rappeur anglais Loyle Carner a, lui, parlé plusieurs fois de l’impact qu’avait eu cette activité sur son trouble du déficit de l’attention à l’adolescence –si bien qu’il a créé une école de cuisine pour des jeunes Anglais qui souffrent du même problème. L’écrivaine et réalisatrice américaine Nora Ephron (Quand Harry rencontre Sally, Julie et Julia…), grande gastronome, révélait dans son roman autobiographique Heartburn : « Ce que j’aime dans la cuisine c’est qu’après une rude journée, il y a quelque chose de réconfortant dans le fait que, si vous faites fondre du beurre et que vous ajoutez de la farine et du bouillon chaud, ça va s’épaissir ! C’est une certitude ! C’est une certitude dans un monde où tout est incertain. » (...)
« C’est presque méditatif »
Si c’est la sensation de contrôle qui satisfaisait Nora Ephron dans la cuisine, pour d’autres c’est la précision du geste et la concentration nécessaire à l’exécution d’une recette. (...)
La cuisine comme forme de méditation, beaucoup d’amateurs et amatrices en parlent. L’application mobile de bien-être Headspace propose d’ailleurs des séances guidées, pour transformer son temps dans la cuisine en moment de mindfulness (pleine conscience). Les professionnel·les de la santé mentale reconnaissent eux aussi ses bienfaits : « La cuisine implique les sens –on sent, on goûte– et requiert de l’attention et de la concentration », explique Jacqueline Gollan, professeure de psychiatrie et de sciences comportementales à l’université américaine Northwestern. « Tout cela peut être une distraction pour quelqu’un qui a tendance à ruminer, et peut offrir un soulagement pour l’esprit. » (...)
Car si la cuisine peut être source de réconfort, elle est aussi un outil pour les professionnel·les de la santé mentale dans le traitement de plusieurs pathologies. Certain·es praticien·nes recommandent de prendre des cours, d’autres organisent des ateliers ou supervisent des événements. (...)
Découper ces activités en étapes plus petites, et donc moins effrayantes, peut aider. « C’est quelque chose que l’on fait en thérapie d’activation comportementale et en thérapie cognitivo-comportementale et qu’on peut pratiquer à travers une recette. Vous découpez l’action en étapes individuelles. Vous versez la farine, vous passez la farine au tamis, vous ajoutez ensuite les œufs, etc. » Ce découpage permet aux patient·es d’accomplir une tâche a priori intimidante. Un savoir-faire qu’il pourra ensuite appliquer à d’autres activités.
La cuisine offre ainsi une multitude d’opportunités thérapeutiques pour les praticiens. Dans le traitement de la schizophrénie, par exemple, cette activité, qui fait intrinsèquement et activement appel à tous les sens, peut permettre de travailler sur les troubles de l’intégration sensorielle (...)
Cuisiner pour les autres ou pour soi-même peut créer un sentiment d’accomplissement qui est important dans le traitement de certaines pathologies. (...)
Autrement dit, il s’agit de se faire plaisir. De rechercher activement les moments gratifiants du quotidien et de les identifier pour les reproduire quand ça ne va pas. Or, acquérir un savoir-faire comme la cuisine ou la pâtisserie est valorisant. « Cette maîtrise est une dimension importante de la satisfaction, poursuit la chercheuse. Être compétent, ça vous donne de l’assurance, de l’estime de soi et ça vous permet de dire au reste du monde : “Je suis capable de faire ça.” »
Catana Brown a elle aussi observé ce phénomène alors qu’elle travaillait dans un centre hospitalier pour personnes souffrant de maladies mentales sévères. (...)
On ne peut pas parler de nourriture et de santé mentale sans parler des troubles du comportement alimentaire (TCA). Ici aussi la cuisine a un rôle à jouer même si son utilisation thérapeutique est plus délicate que pour d’autres maladies. « Pour ceux qui essaient de se remettre d’un trouble du comportement alimentaire, c’est très important d’apprendre à cuisiner d’une manière saine mais en s’assurant de ne pas promouvoir au final leur pathologie », explique Eunice Chen, professeure de psychologie à la Temple University, spécialisée dans le traitement des TCA.
Chaque trouble du comportement alimentaire vient avec son lot de défis lorsqu’on s’aventure dans la cuisine. Pour des patient·es souffrant de boulimie ou d’hyperphagie, il s’agit d’éviter de provoquer des épisodes d’hyperalimentation. Tandis que quelqu’un atteint d’anorexie devra gérer son évitement de la nourriture. « Ce qui est intéressant en ce qui concerne l’anorexie, c’est qu’il y a des cas où des personnes atteintes sont obsédées par la cuisine et cuisinent énormément mais jamais pour elles-mêmes, explique Eunice Chen. Donc, apprendre à cuisiner pour soi-même est un objectif majeur. » (...)
cuisiner, c’est aussi partager le fruit de son travail et de sa passion. Dans le cas de personnes souffrant de maladies mentales, qui les isolent souvent du reste de la société, la cuisine peut devenir un lieu de socialisation. (...)
Car si la cuisine, espace de générosité et de partage, peut aider celles et ceux qui souffrent de troubles mentaux, elle peut aussi soigner la société qui les exclut.