
Plusieurs médecins des deux conseils scientifiques qui accompagnent le gouvernement sur les choix stratégiques à faire pour affronter le Covid-19 ont des liens d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique. Certains labos ont, selon nos informations, dépensé des dizaines de milliers d’euros. Des règles de déport sont en discussion.
Plusieurs médecins du conseil scientifique qui, depuis le 10 mars, éclaire le gouvernement sur les mesures à prendre pour faire face à la pandémie ont un lien d’intérêts qui pose question avec l’industrie pharmaceutique.
Ces praticiens se sont fait inviter, souvent tous frais payés, à un colloque sponsorisé par des laboratoires, ont donné des conseils scientifiques ou des conférences pour leur compte ou réalisé des essais cliniques dans l’espoir de valider l’efficacité de leurs traitements.
Cette situation interpelle plusieurs spécialistes du secteur. Bruno Toussaint,
directeur éditorial de la revue médicale indépendante Prescrire, s’en inquiète (...)
« L’indépendance de l’expertise n’a pas du tout été respectée », dénonce également François Pesty, représentant du Formindep, association pour une formation et une information médicales indépendantes. (...)
Le 24 mars, un deuxième groupe de scientifiques est arrivé en renfort du conseil scientifique pour éclairer la décision gouvernementale : le comité analyse, recherche et expertise (Care). La seule médecin membre qui apparaît comme vierge de tout lien d’intérêts est sa présidente, Françoise Barré-Sinoussi. Les quatre autres ont été défrayés ou rémunérés par l’industrie pharmaceutique. Cette dernière a même dépensé jusqu’à 325 406 euros pour l’un d’entre eux, d’après les recherches de Mediapart.
Parmi ces financeurs, des entreprises qui fabriquent des tests de dépistage ou planchent sur des traitements pour soigner le Covid-19. Or, le Care a pour rôle d’aider l’exécutif à définir sa stratégie sur les tests, essais de nouveaux traitements et pistes vers un futur vaccin : trois enjeux essentiels pour les entreprises pharmaceutiques. (...)
Dès le lendemain 30 mars, une coalition, comprenant notamment les collectifs inter-hôpitaux et inter-urgences ainsi que l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament, a alors saisi le Conseil d’État pour demander « des réquisitions nécessaires face à la pénurie de matériel et de médicaments » (lire leur communiqué sur leur blog Mediapart). (...)
Depuis le retard de la mise en place en France des tests de dépistage du Covid-19 (lire notre enquête : Derrière l’absence de dépistage massif du Covid-19, la réalité d’une pénurie), le 16 mars, Roche a très solennellement annoncé l’arrivée sur le marché français de son nouveau test express avec robot intégré, exigeant l’investissement dans des plateformes parmi les plus chères du marché. Ce serait la solution salvatrice relayée par le gouvernement dans le but de pallier dans l’immédiat le manque criant de tests en France et monter en charge pour être en mesure de réaliser en juin jusqu’à 100 000 tests rapides par jour, objectif annoncé le 29 mars.
Le laboratoire a aussi payé à Jean-Philippe Spano (chef du service d’oncologie médicale de l’hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière et expert au sein du tout nouveau Care.) pour 53 343 euros d’invitations à des colloques, d’hébergement, de transport, d’hôtel et de repas. En tout, en huit ans, le médecin s’est fait inviter par l’industrie pharmaceutique pour un montant de 148 325 euros.
Vient ensuite Yazdan Yazdanpanah, infectiologue-épidémiologiste à l’hôpital Bichat, à Paris, membre du Care mais aussi du conseil scientifique (...)
L’État ayant quasi déserté le champ de la formation continue, l’industrie pharmaceutique a tout intérêt à prendre le relais pour mettre en avant ses solutions thérapeutiques. En tout, les laboratoires ont dépensé 96 431 euros en invitations pour lui en huit ans, principalement MSD et AbbVie. Or, ce dernier laboratoire s’est lancé dans la course aux traitements du Covid-19.