
Partout en Europe, les courbes épidémiques s’inversent – ou bien c’est déjà fait. En France, la politique de dépistage manque d’ambition comme d’efficacité, et les premières restrictions à la libre circulation reviennent. Une politique de santé publique plus incitative et responsabilisante est possible.
Un petit vent de panique est en train de saisir les États européens. Sous peine d’amende, le Royaume-Uni impose une quatorzaine à ses voyageurs de retour d’Espagne. La Belgique s’immisce dans la vie intime de ses citoyens en limitant à cinq personnes la « bulle » de chaque foyer, partout où les règles de distanciation ne s’appliquent pas. L’Italie impose de son côté des quatorzaines aux ressortissants roumains et bulgares, deux pays d’Europe de l’Est touchés à leur tour.
La France est encore en retrait, comme l’Allemagne : les deux pays se contentent jusqu’ici d’imposer des tests Covid-19 aux voyageurs revenant de pays jugés à risque. Le port du masque s’impose partout, au moins dans les lieux clos, et de plus en plus dans les zones très fréquentées à l’extérieur. En Italie, des amendes commencent à tomber contre les récalcitrants dans les transports en commun : 400 euros, contre 135 en France. (...)
Car les courbes épidémiques, jusqu’ici descendantes, se sont inversées. En France, le nombre de tests positifs augmente pour la sixième semaine consécutive. Entre le 20 et le 26 juillet, 6 407 personnes ont été testées positives. (...)
Par son caractère imprévisible, le virus fait son travail de sape des sociétés. Elles craignent une deuxième vague, et tout autant un nouveau confinement. Pour tous les gouvernements, le risque politique est immense. (...)
Faute de tests, la France n’a longtemps vu que les malades du Covid-19. Elle dépiste désormais des personnes infectées par le SARS-CoV-2 qui ne présentent aucun symptôme. Santé publique France estime le nombre de personnes asymptomatiques à 54 %.
Le nombre de malades du Covid-19 hospitalisés continue à baisser, comme le nombre de décès quotidiens, qui était de 15 le 29 juillet. (...)
Le nombre de tests pratiqués aujourd’hui en Europe (rapporté au nombre d’habitants) nous rapproche des pays asiatiques qui ont le mieux maîtrisé le virus : la Corée du Sud, Taïwan ou Singapour. Le taux de tests positifs est également un indicateur rassurant : il est très faible en Europe, entre 1 et 2 % de tests positifs. Aux États-Unis, qui testent pourtant beaucoup, le taux de tests positifs est de 8,3 %. Au Brésil, il est de 66,3 %. (...)
Antoine Flahault en convient cependant : « Le virus est en train d’ensemencer l’Europe, à bas bruit, d’une manière de plus en plus homogène. L’été est un frein à la circulation du virus. Mais la circulation actuelle du virus fait possiblement le lit d’une épidémie beaucoup plus forte à l’automne. Heureusement, nous disposons désormais de masques et de tests, pour protéger les personnes à risque, écrêter le pic de l’épidémie, et éviter que le système de santé ne soit submergé. »
« Je ne suis pas du tout aussi rassurée », dit au contraire Catherine Hill. Épidémiologiste spécialiste des cancers, elle a pris une part importante dans la révélation du scandale du Mediator. Aujourd’hui à la retraite, elle suit jour après jour les courbes du Covid-19 en France, compile les études scientifiques les plus solides et les analyse.
Pour elle, presque rien ne va dans le système de surveillance français de l’épidémie, et la comparaison avec les pays asiatiques ne tient pas. (...)
« Nous n’avons pas de stratégie de dépistage, juge-t-elle. On teste beaucoup, mais au hasard, c’est une gabegie. Il faudrait au contraire faire un dépistage ciblé, priorisé. (...)
Le système de traçage des cas lui paraît également très insuffisant. Lorsqu’une personne est testée positive, l’assurance maladie recense ses cas contacts à partir de 48 heures avant l’arrivée des symptômes. « Plusieurs études montrent que le risque de transmission est maximum quatre jours avant les symptômes et six jours après. »
« Notre politique de test n’est pas du tout à la hauteur », confirme Anne Souyris, l’adjointe de la ville de Paris à la santé. Elle aussi est inquiète devant la dynamique de l’épidémie. (...)
Issue du milieu associatif de la lutte contre le sida, Anne Souyris réfléchit à « une politique de réduction des risques, qui incite et responsabilise, sans contraindre. On est passé par une période liberticide, imposée par l’État, que tout le monde a envie d’oublier. Pour ne pas retomber dans le confinement, et risquer de devenir fous, il faut de la responsabilité collective ». (...)
Tous les membres du conseil scientifique viennent de cosigner un article publié dans le Lancet le 16 juillet sur leur rôle dans la construction d’une réponse de santé publique à l’épidémie de Covid-19. « C’est la première fois que nous communiquons sur notre stratégie, qui se nourrit de ces deux traditions de la santé publique française », poursuit Laëtitia Atlani-Duault. Comme Jean-François Delfraissy, elle aussi regrette que le gouvernement n’ait pas entendu les appels répétés du conseil scientifique et d’associations à la création d’un « comité citoyen, pour aider à la prise de décision politique, qui a besoin de la participation et de l’information de tous ».
Le conseil scientifique ne cesse pas de travailler pendant l’été. Il vient de rendre au gouvernement un avis sur la stratégie de dépistage, qui doit être rendu public dans les prochains jours. (...)