
Le burn out est de plus en plus répandu. Il est reconnu comme maladie professionnelle. Toutes les catégories socio-profesionnelles sont concernées. Nicolas Luby, médecin du travail à l’ASTIA, le plus grand service de santé au travail d’Occitanie, nous explique pourquoi.
Le burn out n’est pas une problématique en soi. C’est le symptôme d’une problématique plus globale qui est le tournant gestionnaire. Le burn out est une pathologie de la solitude au travail, conséquence du fait que les coopérations sont en train de se déliter.
Il y a eu une individualisation avec le tournant gestionnaire du travail : quand le pilotage a commencé à se faire par des indicateurs chiffrés et des performances individuelles. Il en a résulté une diminution de la coopération.
La coopération, ce n’est pas juste s’aider à travailler. C’est aussi s’aider à supporter le travail parce que le travail n’est pas seulement un plaisir, un bonheur. Il y a des moments difficiles dans lesquels on a besoin de s’aider.
Les liens ne sont plus les mêmes qu’avant ?
Oui. Le burn out intervient dans ce contexte de solitude au travail. Les collectifs ne sont plus aussi bienveillants qu’avant. Il ne s’agit pas de faire l’éloge du patriarcat mais, à cette époque, la fraternité permettait de tenir par l’entraide, la coopération. Il y avait un partage de valeurs, de règles de métier, une déontologie. On pense à des collectifs comme les mineurs...
En psychodynamie du travail, on s’accorde à dire que la coopération a été mise à mal et c’est ça qui fait décompenser les gens énormément.
Aujourd’hui, comme on est piloté seul, les erreurs on les assume seul. (...)
la majorité de votre travail ne consiste pas à réaliser des tâches qui sont prescrites. Elle consiste à régler des problèmes qui sont de tous ordres et qui ne sont pas réellement quantifiables. Le vrai travail, le travail réel, est difficile à quantifier.
Une infirmière, par exemple, va avoir l’impression qu’elle passe son temps à remplir de la paperasse pour dire qu’elle a fait du boulot. Elle ne passe pas autant de temps à soigner les gens.
Donc effectivement il y a une perte de sens complète. On se demande pourquoi on est là. Est-ce qu’on est là pour remplir des cases parce qu’on a fait un truc ou est-ce qu’on est là pour faire des trucs ? (...)
On pilote tout individuellement. On fait des entretiens individuels, des objectifs individuels... Tout ça, à mon avis, c’est une catastrophe parce que, en fait, on ne fait rien seul.
On devrait n’avoir que des objectifs collectifs, des entretiens collectifs. On devrait avoir des espaces de discussion pour parler du travail.
Donc les gens finissent par aller en médecine du travail parce qu’effectivement, ils associent leur souffrance à une pathologie. Et clairement c’est lié au travail. Mais le problème c’est qu’on arrive trop tard dans cette situation-là. On devrait arriver beaucoup plus tôt. (...)
Il y a toujours eu du boulot. On pourrait même considérer qu’il y a moins de travail et qu’il est même plus cool…
On a des outils de travail plus performants. Effectivement, on a une charge de travail qui augmente parce qu’on a des outils pour le faire. Mais on a des styles de vie, les 35h par exemple, qui font qu’on arrive à borner le travail.
Donc, à mon avis, ce n’est pas vraiment le travail qui est devenu plus dur. C’est la coopération qui s’est dégradée. A mon avis c’est ça qui rend les gens seuls.
C’est une pathologie de la solitude. Je n’invente rien. C’est une analyse de Christophe Dejours, un universitaire en santé au travail qui s’occupe des suicides à France Telecom. (...)
Le travail c’est un constructeur d’identité. Finalement ce que vous faites au travail, c’est ce que vous êtes vous. Quand vous travaillez, vous ne travaillez pas simplement pour gagner de l’argent. Vous travaillez pour être un homme meilleur, pour rendre le monde meilleur.
Donc il y a quand même un objectif politique, un objectif personnel important dans le travail. C’est pour ça que le travail ne peut pas être neutre. On ne peut pas se ficher du travail.
Le travail, il est obligé de vous faire quelque chose. Vu le temps qu’on y passe, vu l’énergie qu’on y met, vu comment la société l’a centralisé…. Actuellement si on ne travaille pas, on n’a pas d’argent donc on n’est personne. C’est central.
Et ça ne peut pas être neutre : ou ça fait du bien, ou ça fait du mal. Ou ça fait du bien parce qu’on est valorisé, on est reconnu, on a des missions, on y arrive et finalement, le travail est un promoteur de santé. Ou on n’y arrive pas et forcément, c’est aliénant et ça fait du mal. (...)
L’objectif c’est de rentrer le soir en se disant : « j’ai fait du bon boulot ».
Et c’est normal que chacun, s’il n’a pas les moyens de faire du bon boulot, décompense. Il n’y a personne qui va vivre bien en faisant du mauvais boulot. (...)
Ce n’est pas que le monde du travail. La société aussi est dans cette mouvance-là, de la réussite personnelle, du plaisir personnel. (...)
Elle nous pousse à être dans l’individualisation, dans la société de consommation, à ne pas être dans la bienveillance avec notre prochain. C’est pour ça qu’on le voit partout.
On voit des gens se surinvestir pendant un temps, pour tenir des objectifs parce qu’ils veulent faire du bon boulot. Et finalement tout lâcher parce que ça coûte trop et qu’il n’y a pas de retour, pas de reconnaissance, pas de soutien, pas de latitude… (...)
Quelle peut être la solution ?
C’est donner les moyens au manager de proximité de recréer cette coopération. La marge de manœuvre qu’ils doivent avoir, c’est de recréer des espaces de discussion pour parler du travail, pour recréer des règles de métiers, des règles de déontologie.
L’objectif, c’est que les gens réapprennent à se faire confiance pour pouvoir travailler ensemble. C’est un challenge qu’on a tous les jours, en tant que médecins du travail et qui, à mon avis, est notre plus gros boulot.
C’est dur de voir qu’on ne peut plus effectuer la mission qu’on s’est donné. Le burn out, c’est une dépression réactionnelle.
Pourquoi dépression réactionnelle ?
Les gens qui font des burn out, ce sont des gens qui font des dépressions profondes. C’est le système psychique qui s’effondre parce qu’il a lutté pendant longtemps.
Quand on dit dépression réactionnelle, c’est parce que ce n’est pas constitutif d’une personnalité fragile, c’est le fait d’une exposition prolongée à une difficulté. La difficulté ne vient pas forcément des missions, elle peut venir aussi du manque de ressources qu’on a dans le travail.
Dans les faits, on s’accorde pratiquement tous à dire que la perte de la coopération aujourd’hui, c’est sûrement ça qui fait décompenser les gens individuellement.