
Plusieurs maires sont décédés, après avoir été contaminés pendant la campagne et lors du premier tour des élections municipales. Pour permettre aux mairies de continuer de fonctionner malgré tout, le gouvernement a dû prendre une ordonnance modifiant les règles du code général des collectivités locales.
Les habitants Saint-Brice-Courcelles (Marne) n’en reviennent toujours pas. Quinze jours après avoir été réélu triomphalement au premier tour des municipales, leur maire sortant, une figure locale, Alain Lescouët, 74 ans, décède du coronavirus. Pour son adjoint, Alain Lalouette, il ne fait aucun doute que l’élu a contracté le virus le jour du scrutin, le dimanche 15 mars, alors qu’il tenait un bureau de vote avec lui. "Même si on avait mis en place les prescriptions du gouvernement pour les isoloirs et les distances, on était équipés de façon très sommaire", raconte-t-il à la cellule investigation de Radio France.
"On a fait les élections à visage découvert. Pour les gens qui tenaient les bureaux, c’était comme en 14-18 sur le chemin des Dames, on était en première ligne !"
Résultat, l’adjoint ressent les premiers symptômes du Covid-19 dans les jours qui suivent le scrutin. Mais il n’est pas le seul. "Une dizaine de personnes du conseil municipal sur dix-neuf ont aussi été infectées. Toutes avaient participé au scrutin", dit-il. (...)
Un scénario qui se reproduit dans toutes les régions (...)
Des contaminations aussi pendant la campagne
D’autres contaminations d’élus ont eu lieu durant la campagne. On le voit notamment à Crépy-en-Valois, toujours dans l’Oise (le département où un est décédé le premier Français qui ne s’était pas rendu dans un pays à risque). Bien avant le premier tour, le 1er mars, le maire sortant, Bruno Fortier, est dépisté positif. La campagne est alors suspendue, la commune confinée, les écoles, les cinémas, les lieux publiques fermés, bien avant le reste de la France. (...)
Une ordonnance pour assurer la continuité des services
Même s’il est impossible de chiffrer le nombre de maires victimes du scrutin, le nombre d’élus concernés a été tel que le gouvernement a dû publier une ordonnance le 8 avril, pour pouvoir assurer la continuité des services. "Quand le siège du maire devient vacant, il existe déjà un dispositif", précise Maître Juliette Viehl, avocate en droit des collectivités locales. "C’est le premier adjoint qui prend le relais. Mais normalement, l’intérim est de quinze jours avant qu’un nouveau maire soit réélu. Avec cette ordonnance, ce délai est prolongé jusqu’à la fin de l’état sanitaire".
Ce nouveau texte a permis de débloquer les situations dans les mairies les plus touchées. (...)
Le rôle des scientifiques
Pourquoi donc, dans ces conditions, le gouvernement a-t-il maintenu le premier tour, alors même qu’il fermait les bars, restaurants, les théâtres et les cinémas ? Pour le comprendre il faut revenir sur ce qui s’est joué en coulisses, à l’Élysée le 12 mars dernier.
Ce jour-là, les dix membres du conseil scientifique Covid-19, arrivent à 10 h 30. Ils s’assoient du même côté de la grande table du conseil des ministres, face au président de la République et à ses collaborateurs. Ils expliquent à Emmanuel Macron pourquoi le nouveau coronavirus risque d’engorger les services de santé. La France ne réalise pas encore ce qui est en train de se passer, disent-ils au président. À cet instant, ce dernier est ébranlé. Il n’exclue pas un report du vote. À 13 heures, les experts ne quittent pas le palais. On leur apporte des plateaux repas, après quoi ils se retrouvent à huis clos pour répondre à la question suivante : y-a-t-il des arguments scientifiques plaidant en faveur de la suppression du premier tour des élections municipales ?
Pendant qu’Emmanuel Macron consulte les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi que d’autres personnalités politiques qui plaident majoritairement pour un maintien du scrutin, les scientifiques débattent. La discussion est franche, "cash", nous a-t-on confié. Certains interviennent spontanément. D’autres réclament la parole. Le président Jean-François Delfraissy veille à ce que chacun puisse préciser sa pensée. Il recherche un consensus qui peu à peu va se dégager autour de deux arguments.
D’un côté, les experts membres du corps médical considèrent qu’à partir du moment où l’on permet à la population de sortir en respectant des mesures barrières, il n’existe aucun argument scientifique permettant de considérer que le premier tour aggraverait la situation, à condition que soient imposées : une distanciation sociale, l’absence de contact, une file dédiée aux personnes à risque et la présence de gel hydroalcoolique.
Le risque d’un séisme politique et médiatique
Mais un autre argument, beaucoup moins scientifique, va aussi être avancé. Il est essentiellement développé par les experts en sciences sociales du groupe (anthropologue et sociologue notamment). Ces derniers font valoir qu’une annulation du premier tour des élections, risquerait d’entrainer un séisme politique et médiatique qui détournerait l’attention des Français de la menace qui pèse sur eux. Si la presse titrait sur la confiscation du scrutin par le chef de l’État, la polémique enflerait, expliquent-ils, l’opposition s’en emparerait, et les messages de mobilisation de l’opinion autour du Covid-19 deviendraient inaudibles (...)