
Violaine Baraduc est doctorante en anthropologie sociale à l’EHESS. Ses recherches portent sur la participation des femmes au génocide contre les Tutsi rwandais et sur l’édification d’une mémoire des massacres en prison. Par l’analyse photographique, elle illustre la façon dont certains leaders génocidaires misent sur la politique de réconciliation pour renforcer leur pouvoir dans les blocs.
L’image rend compte du tournant qu’il y a eu dans l’organisation des commémorations à partir de 2012 : l’objectif du gouvernement n’était plus alors de prouver et condamner les massacres ou de juger leurs auteurs, mais de réconcilier les Rwandais et de rebâtir le pays. (...)
Tandis qu’avant 2010 les commémorations n’étaient pas célébrées en prison, quatre ans plus tard, les détenus génocidaires pouvaient porter le deuil au même titre que les rescapés en exhibant un foulard gris (...)
Ils pouvaient aussi jouer leur propre rôle dans une pièce de théâtre mettant en scène le génocide ou la compétition politique née au début des années 1990 après l’instauration du multipartisme, ou encore composer et chanter des chansons célébrant la réconciliation ou déplorant la mort des personnes exterminées. (...)
Le détenu qui est au micro partagea donc possiblement le rêve d’une nation hutu avec l’homme auquel il adresse son repentir.
Pour compléter son uniforme orange parfaitement repassé, il porte des chaussettes et de belles baskets blanches, étalant ainsi sa richesse aux yeux de ceux qui peuvent la lire dans les détails de sa tenue vestimentaire, dans sa silhouette épaisse et dans sa posture verticale. Lui qui au printemps 1994 se proclama conseiller d’un secteur de Kigali, est l’un des deux seuls prisonniers à avoir été choisi pour s’exprimer à cette occasion... par un groupe qu’il dirige peu ou prou avec l’autre personne ayant eu le privilège de prendre la parole.
Ironiquement, ce détenu, haut placé et influent, doit sa notoriété et tout le pouvoir qui lui est rattaché au capital qu’il a acquis à la faveur du génocide.
Et paradoxalement, il ne fait pas vraiment d’aveux alors qu’il doit inciter les autres à livrer ce qu’ils persistent à cacher. (...)
Le groupe Icyizere a été créé par un jeune rescapé incarcéré durant trois ans à la prison centrale de Kigali pour avoir falsifié ses bulletins scolaires : l’orphelin, frappé par la dépression et le découragement, craignait alors de perdre sa bourse d’études.
Malgré les tentatives d’intimidation de la part de détenus génocidaires influents et encore idéologisés, le jeune homme a réussi à faire accepter la tenue des commémorations en prison. Il a pour cela reçu le soutien de la directrice de l’établissement de l’époque, elle-même survivante, ainsi que d’un leader génocidaire choisi pour être son tuteur par l’administration à son arrivée.
Avant que le projet n’aboutisse, ses détracteurs agressèrent le tuteur au couteau. À ce moment-là déjà, et au-delà même du contexte, la question de la place à offrir aux prisonniers génocidaires se posait. Quatre ans plus tard, et à peine deux ans après la libération du jeune homme, les leaders génocidaires ont récupéré l’initiative. Dans l’établissement, ceux-ci se trouvent désormais en charge de l’essentiel des événements proposés aux prisonniers durant la semaine officielle du deuil, entre le 7 et le 14 avril. (...)