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Comme nous existons, de Kaoutar Harchi
/Ludivine Bantigny, historienne
Article mis en ligne le 23 décembre 2021

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Comme nous existons, de Kaoutar Harchi

Le magnétisme de ce livre, sa pertinence, son acuité appellent la relecture immédiate. Sitôt les 144 pages terminées, surgit un besoin impérieux de visiter une nouvelle fois les souvenirs évoqués, d’admirer encore le subtil tracé de leur restitution, gorgée d’authenticité et ciselée par le recul, d’en fixer les scintillements et les zones d’ombre, à l’affût d’une énième révélation, comme Kaoutar Harchi, petite fille, se passait en boucle la VHS du mariage de ses parents, selon un rituel apaisant et hypnotique, sur le canapé de leur appartement du quartier de l’Elsau, à Strasbourg, dans les années 1990. Les noces visionnées à l’infini eurent lieu au Maroc, terre d’origine de la famille avant l’immigration postcoloniale, dont cet opuscule autobiographique d’une splendeur prodigieuse, tant par sa langue d’écriture que par sa virtuosité intellectuelle, ramasse les débris, mélange de pierres précieuses et de cailloux douloureux, qui constituent tant de chemins de vie. Celui de Kaoutar Harchi fut tracé par des parents aimants jusqu’au sacrifice, travailleurs dévolus à une lutte de chaque instant pour que leur fille unique soit « assurée, rassurée, dans ce monde, d’avoir, quelque part, une place ». Avant de trouver la sienne, de sociologue affûtée, d’écrivaine éclairée, avant de décider que sa place dans le monde serait une place pour regarder le monde, l’enfant expérimenta le monde. (...)

Regardez-nous… », « Vous savez… », Kaoutar Harchi apostrophe le lecteur par ces incises incrustées dans son récit. Elle s’adresse au for intérieur de chacun, en appelle à la lucidité décapée de tout préjugé, vient chercher la vérité au fond du puits. Cette vérité qu’elle peine tant à dire à ses parents, pour ne pas les blesser, ne pas les trahir, cette vérité qu’eux-mêmes travestissent d’un « tout va pour le mieux » de camouflage auprès de leurs proches, cette vérité d’injustice « de classe, de race, de genre » qui a la haute main sur nos destins, et que ce livre profère avec un tact implacable.