
"J'en eus le cœur bafoué", écrit la narratrice à propos d'une humiliation raciste.
C'est un livre magnifique que celui de @KaoutarHarchi mais bien plus : un coup dans l'assurance des bonnes consciences qui nient le racisme structurel & notamment institutionnel.⤵️ pic.twitter.com/tu6TuUOYST— Ludivine Bantigny (@Ludivine_Bantig) December 22, 2021
C'est de cela qu'il s'agit : venir du Maroc, vivre en France, exister dans une société qui invisibilise ou violente jusqu'à cette existence même, pour ce qu'elle est, pour sa présence :
"nous étions dépourvus de cette légitimité qui assurait à chacun le sentiment d’être chez lui".— Ludivine Bantigny (@Ludivine_Bantig) December 22, 2021
On a beau savoir, percevoir, écouter : quand on ne vit pas directement le racisme dans son cœur et sa chair, on prend comme un soufflet la violence décrite qui laisse justement le souffle coupé. C'est le cas dans Comme nous existons. C'est vrai et on n'en revient pas et c'est vrai pic.twitter.com/sxAuxv1XiV
— Ludivine Bantigny (@Ludivine_Bantig) December 22, 2021
Parmi eux Ahmed :
"regardez-le, dans sa doudoune noire à capuche. Sa doudoune à la fermeture éclair cassée. Sa doudoune ouverte au vent et au froid."
Interpellé pour rien, fouillé dans son intimité.
"Comme on fouille une poche, un tiroir, un sac, les policiers fouillèrent Ahmed."— Ludivine Bantigny (@Ludivine_Bantig) December 22, 2021
Et à propos de "La double absence" d'Abdelmalek Sayad :
"L’éclat dans le cœur est né de cette joie mêlée d’impatience et d’excitation de voir des choses tenues secrètes m’être ainsi révélées. Je perçus cela comme un droit : celui d’être informée de choses qui nous concernaient" pic.twitter.com/EEV5OW7h4z— Ludivine Bantigny (@Ludivine_Bantig) December 22, 2021
"C’est ce souvenir que j’ai, qui ne me quitte pas, un souvenir que j’aime, le souvenir d’avoir été aidée par Abdelmalek Sayad à tuer la honte pour toujours, au point de ne plus éprouver la honte, ni la honte d’avoir eu honte"
Comme nous existons, Kaoutar Harchi— Ludivine Bantigny (@Ludivine_Bantig) December 22, 2021
"Ce fut comme une vague épaisse qui est montée, toute cette tristesse qui nous a pris, Hania, Mohamed & moi & combien d’autres millions de familles ? Ainsi nous avons compris que tout, maintenant, le quotidien, la vie, l’avenir, irait sans eux, sans ces deux enfants"#Zyed #Bouna pic.twitter.com/ophuVUvZmo
— Ludivine Bantigny (@Ludivine_Bantig) December 22, 2021
Lire aussi :
Comme nous existons, de Kaoutar Harchi
Le magnétisme de ce livre, sa pertinence, son acuité appellent la relecture immédiate. Sitôt les 144 pages terminées, surgit un besoin impérieux de visiter une nouvelle fois les souvenirs évoqués, d’admirer encore le subtil tracé de leur restitution, gorgée d’authenticité et ciselée par le recul, d’en fixer les scintillements et les zones d’ombre, à l’affût d’une énième révélation, comme Kaoutar Harchi, petite fille, se passait en boucle la VHS du mariage de ses parents, selon un rituel apaisant et hypnotique, sur le canapé de leur appartement du quartier de l’Elsau, à Strasbourg, dans les années 1990. Les noces visionnées à l’infini eurent lieu au Maroc, terre d’origine de la famille avant l’immigration postcoloniale, dont cet opuscule autobiographique d’une splendeur prodigieuse, tant par sa langue d’écriture que par sa virtuosité intellectuelle, ramasse les débris, mélange de pierres précieuses et de cailloux douloureux, qui constituent tant de chemins de vie. Celui de Kaoutar Harchi fut tracé par des parents aimants jusqu’au sacrifice, travailleurs dévolus à une lutte de chaque instant pour que leur fille unique soit « assurée, rassurée, dans ce monde, d’avoir, quelque part, une place ». Avant de trouver la sienne, de sociologue affûtée, d’écrivaine éclairée, avant de décider que sa place dans le monde serait une place pour regarder le monde, l’enfant expérimenta le monde. (...)
Regardez-nous… », « Vous savez… », Kaoutar Harchi apostrophe le lecteur par ces incises incrustées dans son récit. Elle s’adresse au for intérieur de chacun, en appelle à la lucidité décapée de tout préjugé, vient chercher la vérité au fond du puits. Cette vérité qu’elle peine tant à dire à ses parents, pour ne pas les blesser, ne pas les trahir, cette vérité qu’eux-mêmes travestissent d’un « tout va pour le mieux » de camouflage auprès de leurs proches, cette vérité d’injustice « de classe, de race, de genre » qui a la haute main sur nos destins, et que ce livre profère avec un tact implacable.