
Un nouveau texte, pouvant préfigurer ce que pourrait être l’accord de Paris lors de la COP21, a été rendu public par l’ONU. Il est inacceptable. En endossant ce texte, les négociateurs des États accepteraient que le chaos climatique devienne l’horizon indépassable de l’humanité. Nous devons le rejeter. Un éventuel sursaut politique et citoyen est à ce prix.
Les deux présidents et facilitateurs de la négociation, Ahmed Djoghlaf et Dan Reifsnyder, ont rendu public un nouveau texte lundi 5 octobre (disponible ici en pdf), à moins de quinze jours de la dernière session de négociations intermédiaires à Bonn (19 oct – 24 oct). A la grande satisfaction de nombreux commentateurs et journalistes, ce texte ne fait qu’une vingtaines de pages, contre plus de quatre-vingt pour les textes qui l’ont précédé. Pour certains, c’est une « avancée » sur un texte « plus court, plus lisible (…) plus facile à manier » qui « permettra de faire avancer les négociations ».
Pourtant, ce texte n’est pas acceptable. Voilà pourquoi. En 10 points.
1. Le cœur du problème : les objectifs de réduction d’émission des pays ne font pas partie de la négociation (...)
2. L’ONU et les États prévoient de négocier avec le réchauffement climatique (...)
3. Un mécanisme de révision mal envisagé (...
4. Un projet de texte qui ignore l’origine de plus de 80% des émissions de CO2 (...)
5. Pas de financements adéquats
L’article sur le financement est l’un des plus vides de contenu du texte. Il ne dit rien de précis. (...)
6. L’aviation et le transport maritime épargnés (...)
7. Pas de plan pour le développement des énergies renouvelables (...)
8. Reléguer les droits humains, sociaux et politiques dans un article sans valeur (...)
9. Un affaiblissement généralisé de la Convention cadre de l’ONU (...)
10. Des idées dangereuses ne sont pas écartées
Beaucoup de points pourraient être cités ici. Limitons-nous au concept d’émissions « nettes zéro », qui est une des options de l’objectif de long terme envisagé dans ce texte. Le terme « émissions nette zéro » peut sembler similaire au terme « zéro émission », et ainsi obtenir un soutien équivalent. Pourtant, les deux concepts ont des significations et des effets très différents. Ajouter « net » à un objectif de « zéro émission » dénature complètement l’objectif initial. Au lieu d’exiger des réductions d’émissions réelles, la comptabilité nette encourage la compensation carbone à une échelle globale et massive. Cette compensation pourrait mobiliser des milliards d’hectares de forêts et de terres arables pour stocker le carbone issu des émissions de gaz à effet de serre qui ne seraient pas éliminées. Beaucoup de communautés vulnérables des pays du Sud ont déjà perdu leurs terres et vu leur sécurité alimentaire compromise en raison de ces dispositifs de compensation carbone. Plutôt que d’en tirer les leçons, les négociateurs pourraient généraliser ces pratiques en fixant un objectif de long terme de « émissions nettes zéro », minant les droits fonciers et la souveraineté alimentaire des populations locales.
Conclusion : Pourquoi rejeter ce texte est la seule option sérieuse que nous ayons ?
C’est en 2011, à Durban, que les États ont donné mandat aux négociations de l’ONU d’aboutir d’ici fin 2015 à accord sur « un protocole, un autre instrument légal ou une solution concertée ayant une force légale » qui prenne la suite du protocole de Kyoto (dont la deuxième période d’engagements prend fin en 2020). Depuis cette conférence de Durban, 85 journées de négociation ont eu lieu. Près de trois mois en cumulé. Des négociations qui ont nécessité un quantité incroyable d’émissions pour déplacer des négociateurs des quatre coins de la planète et au cours desquelles de nombreux ouragans, tempêtes, inondations et sécheresses ont ravagé de nombreuses régions de la planète. On ne peut pas dire que les négociateurs et les États aient manqué de temps pour prendre connaissance de la gravité de la situation et pour travailler dans la perspective d’un accord qui soit à la hauteur des enjeux. Pourtant, ce texte n’est pas à la hauteur des enjeux. Au contraire, il nous conduit au chaos climatique et institue le crime climatique comme mode de régulation des conséquences des dérèglements climatiques. Ce n’est pas acceptable. (...)
ONG, syndicats, organisations sociales et écologiques doivent se prononcer sur le fond, et non sur la forme des négociations : ce texte est-il de nature à répondre à l’urgence climatique dans une perspective de justice sociale ? Absolument pas. Cela devrait largement suffire à le refuser de manière unanime et claire. Que risque-t-on ? Bloquer les négociations ? Les retarder ? Créer une crise politique au sein de l’ UNFCCC ? C’est supposer notre pouvoir bien grand face à des chefs d’État et de gouvernement, et des négociateurs, qui ne nous écoutent pas.
Accepter ce texte comme base de négociations revient peu ou prou à expliciter que les négociations sont sur la bonne voie ! Ce n’est pas le cas. Pourquoi ne pas le dire ? Pourquoi ne pas explicitement exprimer notre consternation face à des négociations qui nous conduisent à la catastrophe climatique ? (...)
Une telle proposition revient à interpeller l’opinion publique et expliquer clairement que, derrière les beaux discours, il n’y a rien. C’est enfin jouer notre rôle de lanceur d’alerte. Si nous ne le faisons pas, qui le fera donc à notre place ?