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Cinéma : Ceux qui travaillent, ou l’humanité dans un monde globalisé
Antoine Russbach, Ceux qui travaillent, 25 septembre 2019, 102 min
Article mis en ligne le 30 novembre 2019
dernière modification le 29 novembre 2019

Lorsque la mondialisation broie les vies professionnelle et privée, Antoine Russbach explore les limbes de la société à venir à travers le cas d’un cadre gérant à distance des porte-conteneurs.

Maritimisation et numérisation, piliers de la société mondialisée

La mondialisation des flux au XXIe siècle est un phénomène complexe à appréhender. Deux choix s’offrent à l’artiste, au chercheur, au grand public. D’une part, concentrer son attention sur les mobiles (modes de transport, déplacements) . D’autre part, s’attarder sur les « immobiles de la mobilité » comme l’évoque le sociologue Bruno Latour : pour lui, il s’agit des infrastructures ou bien de ceux qui travaillent à leur gestion et à leur développement .

Le réalisateur Antoine Russbach, en sélectionnant la deuxième option, propose une fiction à deux niveaux. Le premier se centre sur le commerce maritime international via l’exemple des porte-conteneurs, géré par une entreprise dont le siège est basé en Suisse. Le second étayant le quotidien d’un père de famille suisse. En un sens, il s’inscrit dans une démarche d’analyse globale en partant d’un exemple local. (...)

Au travers de ce film, le réalisateur traite plusieurs thématiques aux enjeux politiques et sociaux. Tout d’abord, la focale utilisée amène à faire un pas de côté. Il ne s’agit pas de rejouer un énième scénario sur les dangers de la mer que sont les pirates ou les intempéries , mais de proposer une vision surplombante du trafic maritime – le danger vient d’une autre nature, la nature humaine... (...)

Sans être pour autant une technocritique radicale, des questions implicites sur notre rapport aux usages du téléphone portable sont soulevées, dans la sphère du travail comme dans la sphère familiale .

Ensuite, cette immersion dans le temps mondialisé dans lequel est engagé le personnage principal a des répercussions sur sa vie familiale. (...)

le dernier thème abordé par le film articule les deux espaces entre lesquels Franck va et vient : le bureau et la maison. Il s’agit de la société de consommation, dont une critique au vitriol est faite ici. (...)

Les affres de la mondialisation contemporaine

C’est une fresque contemporaine tragique qui nous est dépeinte ici avec une imbrication des échelles, des sphères privée et publique, et une collision imparable des individus . Ces derniers n’avaient finalement que des interactions superficielles et voient leur monde remis en question. Pour reprendre une image d’Épinal, le spectateur voit l’iceberg qui se rapproche dangereusement de minute en minute, tandis que les personnages continuent d’être subjugués, chacun à leur tour, par un musicien de l’orchestre (leur centre d’intérêt principal), alors que le Titanic de la mondialisation dans lequel ils sont embarqués continue sa lente trajectoire vers un avenir incertain, violent, individualiste, libéral. (...)

Finalement, le film prend une tournure introspective saisissante. (...)

dans notre société actuelle, comment faire les bons choix dans la sphère professionnelle quand les modèles (parents, employeurs) ne sont plus présents que de manière ponctuelle, que les relations entre les individus sont limitées et superficielles, et que les moyens de travail sont émiettés et désincarnés par une assistance technologique grandissante et chronophage débordant tous les autres cadres (récréatifs, familiaux) ? (...)

Il y a donc une réelle porosité des domaines public et privé, local et global. Cela entraîne une adaptabilité sans cesse renouvelée face aux événements qui surviennent et une froide aptitude à compartimenter, quitte à égratigner au passage quelques morceaux d’humanité. C’est donc la flèche du progrès qui est remise en question ici pour savoir si c’est vraiment vers cet avenir que nous souhaitons aller. (...)

Dans ce village mondial où tout est connecté, le film d’Antoine Russbach nous rappelle que l’humain s’efface bien souvent au profit de la marchandise.