
Suite à la décision de non-lieu dans le dossier chlordécone, un collectif dénonce, dans cette tribune pour « l’Obs », ce qu’il estime être l’aveuglement des juges et en appelle au sursaut citoyen.
La décision de non-lieu dans le dossier chlordécone tend à démontrer que la « vérité judiciaire » n’est pas la vérité. Les juges vivent-ils à ce point dans une réalité alternative qu’ils sont obligés de tordre les faits et le droit pour arriver à cette situation paradoxale : reconnaître que nous sommes face à un « scandale sanitaire », et tout mettre en œuvre pour aboutir à la conclusion qu’il n’y a ni coupable ni responsable. Non seulement cette décision se révèle méprisante eu égard aux facultés d’entendement des Antillais, mais plus encore elle vient prolonger un mépris déshumanisant au sein de sociétés marquées par des fractures coloniales encore vives. Cette décision, rabaissant encore une fois les dignités des Antillais, ajoute de l’insulte à la douleur. (...)
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90 % de la population des Antilles est contaminée au chlordécone ; le nombre de cancer de la prostate y est le plus élevé du monde ; l’espérance de vie dans les départements de la Guadeloupe et de la Martinique est nettement inférieure à celle des départements de l’Hexagone.
Le chlordécone tue. (...)
Il tue et il tuera encore car sa présence est durable pour plusieurs siècles. Ce sont des générations et des générations qui devront supporter ce mal, sans rien dire, dans un turbulent silence.
« Révisionnisme judiciaire »
Dans leur décision les juges refusent d’admettre la réalité.
La réalité ? c’est le poids d’un passé qui ne passe pas. En dépit d’avancées sociales et politiques importantes à travers la seconde abolition de l’esclavage en 1848 (après une indemnisation des esclavagistes pour ce qui est aujourd’hui reconnu comme un crime contre l’humanité), la départementalisation de 1946, la structure de l’exploitation de ces îles ne fut pas fondamentalement modifiée. D’un côté, l’économie agricole est restée dominée par des monocultures d’exportation destinées aux marchés européens. De l’autre, la départementalisation ne mit fin ni aux fortes inégalités sociales entre Outre-mer et Hexagone, ni aux méfiances vis-à-vis de l’Etat, donnant lieu au sentiment d’une citoyenneté de seconde zone inchangée depuis l’époque coloniale. (...)