Un cabinet de Guingamp, en Bretagne, propose des montages en Angleterre qui permettent à des commerçants et artisans d’échapper au paiement de leurs cotisations sociales. Une pratique a priori illégale mais qui prospère depuis plus de 20 ans.
Des dizaines de PME françaises ont la même adresse de siège social : le 1 Palk Street, à Torquay, dans le sud de l’Angleterre.
Des dizaines de PME françaises ont la même adresse de siège social : le 1 Palk Street, à Torquay, dans le sud de l’Angleterre. © Getty / Andrew Turner
Quel est le point commun entre la Serrurerie Objatoise, en Corrèze, la boulangerie Au four et au Moulin à Pocé-les-Bois en Ille-et-Vilaine et la Carrosserie auto de la vallée de Saint-Amans-Soult, à côté de Mazamet ? Ces trois artisans, pourtant distants de plusieurs centaines de kilomètres, ont tous la même adresse de siège social. Au 1 Palk Street, à Torquay, dans le sud de l’Angleterre. Comment ces petits patrons français ont-ils pu se retrouver à domicilier leur société dans cette ville de la British Riviera, autrefois très appréciée des touristes Français ? (...)
Tous ont rencontré un jour Pascal Michel, le créateur du cabinet Setti, à Saint Agathon, près de Guingamp (Côtes d’Armor). Tous ont écouté cet homme leur vanter les avantages de son montage offshore qui permet à ces entrepreneurs d’échapper au paiement du RSI, la sécurité sociale des indépendants. Tous l’ont probablement entendu prononcer sa phrase fétiche : "On n’est pas des Cahuzac, chez nous tout est carré". Façon de dire qu’il n’incite surtout pas à frauder, et que sa combine est imparable. A voir. Notre enquête montre que de forts doutes existent quant à ces deux affirmations. (...)
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Samedi 6 janvier 2018
Charges sociales : quand les petits patrons filent à l’anglaise
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Un cabinet de Guingamp, en Bretagne, propose des montages en Angleterre qui permettent à des commerçants et artisans d’échapper au paiement de leurs cotisations sociales. Une pratique a priori illégale mais qui prospère depuis plus de 20 ans.
Des dizaines de PME françaises ont la même adresse de siège social : le 1 Palk Street, à Torquay, dans le sud de l’Angleterre.
Des dizaines de PME françaises ont la même adresse de siège social : le 1 Palk Street, à Torquay, dans le sud de l’Angleterre. © Getty / Andrew Turner
Quel est le point commun entre la Serrurerie Objatoise, en Corrèze, la boulangerie Au four et au Moulin à Pocé-les-Bois en Ille-et-Vilaine et la Carrosserie auto de la vallée de Saint-Amans-Soult, à côté de Mazamet ? Ces trois artisans, pourtant distants de plusieurs centaines de kilomètres, ont tous la même adresse de siège social. Au 1 Palk Street, à Torquay, dans le sud de l’Angleterre. Comment ces petits patrons français ont-ils pu se retrouver à domicilier leur société dans cette ville de la British Riviera, autrefois très appréciée des touristes Français ?
Le climat n’y est pour rien. Tous ont rencontré un jour Pascal Michel, le créateur du cabinet Setti, à Saint Agathon, près de Guingamp (Côtes d’Armor). Tous ont écouté cet homme leur vanter les avantages de son montage offshore qui permet à ces entrepreneurs d’échapper au paiement du RSI, la sécurité sociale des indépendants. Tous l’ont probablement entendu prononcer sa phrase fétiche : "On n’est pas des Cahuzac, chez nous tout est carré". Façon de dire qu’il n’incite surtout pas à frauder, et que sa combine est imparable. A voir. Notre enquête montre que de forts doutes existent quant à ces deux affirmations.
Palk Street à Torquay. Des centaines de sociétés françaises ont élu domicile non loin d’un café appelé « Offshore »
Palk Street à Torquay. Des centaines de sociétés françaises ont élu domicile non loin d’un café appelé « Offshore » / DR
Un montage astucieux...
L’astuce de Setti, c’est de créer une société en Angleterre, qui rachète l’affaire du commerçant ou de l’artisan qui vient le voir. Cette "limited company" crée ensuite un établissement secondaire en France où va s’établir la réalité de l’activité. L’établissement secondaire étant immatriculé auprès d’un tribunal de commerce français, le patron continue à payer ses impôts en France. Même chose pour ses salariés qui restent sur des contrats de droit français.
En revanche, le système autoriserait le gérant à ne plus payer ses cotisations sociales, soit environ 45% de ses gains. Sans compter que la revente de l’affaire initiale à la structure anglaise permet de créer des charges artificielles, qui ouvrent droit à une grosse réduction d’impôt sur les sociétés pendant environ 5 ans. Pascal Michel l’assure : "C’est parfaitement légal, cela fait 22 ans que je le fais, et je n’ai jamais eu de problèmes".
… mais illégal
Nous avons interrogé plusieurs spécialistes, tous sont formels : ce genre de montage est illégal. "Pour moi, c’est du tourisme social, explique Johann Zenou, avocat spécialiste de la sécurité sociale. L’activité réelle de la société se trouve en France, donc le gérant doit respecter la législation française. Je suis très surpris qu’une société qui a pignon sur rue puisse proposer ce genre de choses de manière aussi décomplexée".
Patrick Morvan, professeur de Droit social à l’université d’Assas confirme : "On prétend parfois que le droit européen autoriserait à ne pas verser de cotisations en France. En réalité, c’est totalement faux. Les professionnels concernés s’exposent à de lourds redressements."
Même son de cloche chez les fiscalistes que nous avons consulté. Pour Johann Zenou, l’activité de Setti pourrait même être assimilée à de l’incitation à la désaffiliation de la sécurité sociale, une infraction pour laquelle ses dirigeants encourent jusqu’à deux ans de prison.
Du côté du RSI et de l’URSAFF, on reconnaît du bout des lèvres que ces montages sont hautement douteux. Soit. Mais comment se fait-il qu’une société bien identifiée ait pu vendre ces services pendant plus de 20 ans ? Patrick Morvan avance une explication : "Le RSI est totalement débordé. La Cour des comptes a souligné qu’il ne faisait que quelques centaines de contrôles par an alors qu’il y a des millions de travailleurs indépendants !".
L’avocat Johann Zenou, lui, a connu "des petits patrons poursuivis par le RSI pour des cotisations qu’ils ne devaient pas. Cet organisme a accumulé les erreurs, et pendant ce temps-là, on voit ce genre de pratique prospérer en toute impunité. (...)
Renseignements pris, le RSI ne contrôle que les entrepreneurs qui s’inscrivent auprès de lui. Et comme ces petits patrons ne sont plus affiliés… De leur côté, ni l’URSAFF, ni les parquets n’ont eu manifestement l’envie de regarder des dossiers par essence complexes. (...)