
Chaque artefact ancien a pu faire l’objet d’utilisations multiples et opportunistes en fonction de ses contextes d’usage. Autant de défis pour la « fabrique de l’interprétation » en archéologie.
Depuis que l’archéologie, à la fin du XIXe siècle, s’est détachée d’une phase où sa pratique était avant tout celle d’une « chasse aux trésors », l’étude du contexte des artefacts, et non plus seulement des artefacts eux-mêmes, est devenue l’un des enjeux principaux de la discipline. La question de leur interprétation, de leur degré de distorsion et donc de la possibilité pour l’archéologue de remonter la chaîne des causalités jusqu’à reconstituer l’usage culturel des objets et des espaces, a fait l’objet de débats importants dès les années 1950. (...)
les études récentes se sont faites l’avocat d’une vision dans laquelle il n’existe pas un unique contexte de l’objet, mais une multitude, selon que l’on cherche à reconstituer son utilisation, son stockage, la façon dont on se débarrasse des déchets et des objets inutilisables… voire sa réutilisation inventive dans un but très différent de celui pour lequel il avait originellement été créé ! Loin de nous éloigner d’un contexte originel supposé, ceux-ci nous donnent accès au système culturel de l’objet dans son ensemble, et à tout l’éventail des usages qu’il suscite.
C’est de ce constat de multiplicité des contextes primaires et secondaires de l’objet que l’imposant ouvrage collectif dirigé par Pascale Ballet, Séverine Lemaître et Isabelle Bertrand – toutes trois spécialistes de l’archéologie du monde méditerranéen et gaulois antique – entend tirer les leçons. (...)
L’on rejoint ici une idée déjà mise en avant par la sociologie et l’anthropologie, dont l’archéologie s’est récemment saisie, celle de la « biographie des objets », à même de mettre en lumière des usages non figés : comportements singuliers, originalités, usages polyvalents, « bricolages » et « braconnages ». Ceci est particulièrement visible dans le cas des tessons, qui, bien après avoir cessé d’être des contenants céramiques fonctionnels, peuvent être remployés à diverses fins : Clément Bellamy (chap. 33) identifie ainsi un témoin de cuisson, de possibles « enclumes » présentant des traces de martelage, d’autres réutilisés en couverture de four ou encore comme lissoir de potier.
En fonction des modalités d’utilisation et de dépôt, un même objet peut ainsi acquérir des fonctions et des valeurs totalement différentes. (...)
Epilogue : la fabrique de l’interprétation en archéologie
Cet ouvrage formé de contributions variées propose de nombreuses pistes de réflexion sur la notion de contexte et sur la nécessité d’en considérer la multiplicité plutôt que de s’accrocher à la chimère d’un contexte « originel » qui seul expliquerait la fonction des artefacts. (...)
Au-delà d’une mine d’études de cas et de réflexions méthodologiques sur l’identification des contextes et des fonctions pour l’archéologue, cet ouvrage dévoile aussi à l’amateur éclairé les coulisses de la « fabrique de l’interprétation », dans toute sa complexité et son caractère hypothétique, alors qu’elle est rarement explicitée dans les expositions ou les ouvrages grand public.