
Carey Gillam et Kathryn Forgie sont à la source des « Monsanto Papers », les documents que la firme productrice du Roundup et des principaux OGM a dû publier en mars dernier : des textes qui révèlent les manœuvres de l’entreprise basée à Saint-Louis, aux Etats-Unis, pour dissimuler les effets sur la santé du glyphosate et pour influencer les agences du gouvernement chargées de la santé. C’est grâce aux procédures juridiques qu’elles ont engagées et aux enquêtes qu’elles ont menées que ces « papers » ont pu être publiés. (...)
Kathryn Forgie — Je représente un groupe de plusieurs milliers de personnes qui ont utilisé du Roundup et qui ont notamment développé un forme de cancer, le lymphome non-hodgkinien. Les premières plaintes recensées datent de l’été 2015. Il s’agit d’agriculteurs mais aussi des jardiniers amateurs. Les avocats – près de 20 travaillent sur l’affaire – ont choisi de lancer le procès par une approche ciblée, en ne se concentrant que sur les lymphomes non-hodgkiniens provoqués par le glyphosate.
Une fois le procès enclenché, les avocats avaient la possibilité légale d’interroger les responsables de Monsanto et de leur demander de fournir certains documents. La firme a livré des millions de documents, pour nous noyer. De surcroît, certains documents étaient sujets à une confidentialité ordonnée par le juge. Mais au lieu d’identifier uniquement les documents réellement confidentiels (tels que des secrets relatifs à la propriété intellectuelle), Monsanto a classé comme confidentiels quasiment tous les documents fournis.
Les avocats ont dû revenir vers le juge pour lui demander de déclassifier les documents non confidentiels afin qu’on puisse les rendre publics. Le juge l’a accepté en mars 2017, et voilà comment sont nés les « Monsanto Papers ».
Karen Gillam — De mon côté, j’ai obtenu des milliers de documents déclassifiés, grâce au Freedom of information act. (...)
Kathryn Forgie — Des documents prouvant que Monsanto a largement pratiqué le « ghostwritting », c’est-à-dire que la firme faisait signer par des scientifiques ayant pignon sur rue des études qu’elle-même avait en fait réalisées et écrites. Les dits scientifiques étaient rémunérés pour accepter de couvrir cette tromperie. (...)
En 1984, lorsque les premières études indépendantes révélant des tumeurs rénales liées au glyphosate ont été publiées, on aurait pu espérer d’une compagnie responsable qu’elle reconnaitrait son erreur et enquêterait pour identifier et résoudre le problème. Mais Monsanto a préféré nier toute responsabilité, et a tenté de discréditer les études et a attaqué leurs auteurs en les accusant d’être partiaux. C’est aussi ce que nous avons pu documenter.
Une troisième politique de Monsanto était d’influencer les autorités de réglementation, et particulièrement l’EPA. Et c’est ce que révèle la troisième catégorie de documents importants que nous avons trouvés, particulièrement les relations entre les responsables de Monsanto et un responsable important de l’EPA, Jess Rowland. Monsanto l’a convaincu d’empêcher une autre agence de régulation des produits chimiques (l’ATSDR) de mettre le nez dans leurs affaires et notamment de s’intéresser au glyphosate. (...)
A-t-on la preuve que Monsanto savait que le glyphosate est nuisible pour la santé ?
Karen Gillam — Oui. En 1985, le glyphosate a été classifié comme catégorie C à la suite d’une étude réalisée sur les tumeurs rénales. La catégorie C désigne les produits possiblement cancérigènes pour l’humain. Il existe des documents non-déclassifiés (toujours confidentiels) dont les avocats n’ont pas le droit de parler dans le détail, mais qui indiquent clairement que Monsanto a voulu modifier la catégorie du produit pour qu’il ne soit plus répertorié comme possiblement cancérigène. Ils ont effectivement réussi à convaincre l’EPA de faire passer le produit en catégorie E qui signifie « inconnu ».
Kathryn Forgie — On dispose de preuves montrant que depuis des décennies, la firme s’arrange pour faire disparaître toute recherche compromettante concernant le glyphosate et ses impacts négatifs (...)
Monsanto n’est cependant pas la seule firme à falsifier des documents à propos de produits chimiques dangereux pour l’environnement ou l’humain, même si elle a sans doute été le plus loin. Ces abus sont fréquents dans l’industrie chimique, comme avec l’industrie du tabac ou pharmaceutique. Ils calculent combien d’argent ils peuvent gagner et combien d’argent ils risquent de perdre en dommages et intérêts s’ils sont démasqués.