
Il n’y a pas d’essence du réfugié. C’est une catégorie juridique et administrative, établie par les Etats modernes, qui n’a pas la valeur d’un concept philosophique ou d’une notion descriptive.
Qu’est-ce qui fait « un réfugié » ? Est-ce même le terme juste ? Pourquoi pas migrant, sans papier, apatride, demandeur d’asile… ? Telles sont les questions à l’origine de cet ouvrage. Qui choisit tel terme pour désigner telle personne ? et ce terme dit-il vraiment quelque chose sur l’individu qu’il est censé désigner ? Questions qui ne sont pas simples à résoudre, lorsqu’il s’agit des étrangers et des crises de leur réception sur le territoire. (...)
Il n’y a pas d’essence du migrant ou du réfugié, et chacune des notions employées prête à discussion. Hannah Arendt, dans son opuscule Nous autres réfugiés (1943), expliquait pourquoi elle n’aimait pas, avec les Juifs chassés d’Allemagne arrivés en Amérique, être appelée « réfugiée ». Pour la période récente qui nous intéresse, l’historien Gérard Noiriel est non moins méfiant. Le média qatari Al-Jazeera, au contraire, affirme que le terme « migrant » est devenu un outil de « déshumanisation ».
Karen Akoka est maîtresse de conférences en science politique. Elle a travaillé plusieurs années au Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Dans son ouvrage, elle ne se contente pas de relever les débats possibles autour des notions. Elle cherche surtout à interroger les distinctions recouvertes et les sources de leur légitimation. Elle révèle donc la construction des hiérarchies. Par exemple, entre un réfugié et un migrant : celui qu’on accueille et celui qu’on soupçonne. Quels organismes procèdent à ces estampillages, dans quel but, que disent ces dénominations sur les sociétés qui les mettent en œuvre ? Elle approfondit ces questions à partir des archives de l’institution chargée en France d’instruire les demandes d’asile, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), créé en 1952. (...)
Il ne s’agit donc pas d’une étude sur « les migrants », mais d’une étude sur l’attribution à certaines personnes de dénominations catégorielles, auprès de ceux qui les élaborent et les attribuent. Là se trouvent les raisons pour lesquelles certains étrangers sont plus légitimes que d’autres.
Une catégorie administrative symptômatique
Le résultat de cette étude est très clair : le statut de réfugié ne constitue rien de plus qu’une catégorie administrative. (...)
Ainsi, cette étude sur l’institution qui nomme les « réfugiés » permet de comprendre certes l’histoire de cette catégorie, mais aussi ses transformations au gré des fluctuations politiques internes. (...)
Elle montre ainsi que cette hiérarchisation des statuts sert de justification à l’application du droit d’asile à certains d’entre eux seulement. Et donc paradoxalement valorise ce droit et la confiance en ce droit, réputé traditionnel ou fondateur, tout en le restreignant. (...)
Enfin, cette étude, ancrée dans l’histoire d’une institution, s’ajoute à d’autres pour contester la valeur analytique des catégories de la « pensée d’État ». Or les catégories institutionnelles sont un verrou à faire sauter, si l’on veut du moins révoquer la prétention des Etats à définir les contours des sociétés, et donc les lignes de partage entre inclus et exclus (personnes mais aussi pays de provenance et types de contexte : politique, économique…).
Un mode d’analyse partagé
Karen Akoka rompt avec les procédures de recherche les plus courantes, qui prennent pour des concepts les mots utilisés couramment. (...)
Un vocabulaire remâché par l’histoire (...)
la catégorie de réfugié fluctue. Non qu’elle serait « floue » ou qu’il faudrait l’ajuster à une essence. Elle fluctue parce qu’elle est le résultat de configurations et de rapports de force. (...)