
La France et la menace nazie est une analyse rigoureuse de l’activité des différents services de renseignements français en Allemagne, depuis l’arrivée au pouvoir des nazis en 1933 jusqu’au déclenchement du second conflit mondial en 1939. Peter Jackson, professeur à l’université de Glasgow et chercheur associé au centre d’Histoire de Sciences Po Paris, livre ici un travail de haut vol, tout en finesse et en précision, afin de nous exposer ce que savaient réellement les Français sur l’Allemagne d’Hitler dans les années d’avant-guerre.
(...) Les services secrets français de l’entre-deux-guerre
La France et la menace nazie se penche avant tout sur les services de renseignements français durant l’entre-deux-guerres et sur leur activité au sujet de l’Allemagne qui devient, avec l’arrivée d’Hitler, le pays à surveiller avec le plus d’attention. Peter Jackson présente de façon très didactique les différents services qui constituent la nébuleuse de l’espionnage et du contre-espionnage français : chaque armée (Terre, Air et Marine) possède les siens et espionne donc prioritairement ce qui l’intéresse chez l’ennemi.
Il explique aussi avec une grande clarté les différents moyens auxquels les services français ont recours pour récupérer des informations (...)
Ce que les militaires français savaient réellement des projets militaires nazis
Dans les semaines et les années qui ont suivi le désastre de 1940, les militaires français ont abondamment communiqué pour indiquer leur surprise et leur impuissance face à la machine de guerre nazie. L’un des intérêts majeurs de l’ouvrage de Peter Jackson est de battre en brèche ce discours qui a pu perdurer dans les esprits de certains milieux, notamment militaires. L’armée française, tout au long des années 1930, suit avec intérêt le réarmement lancé par Hitler. Grâce à l’action efficace des services de renseignements, les Français connaissent bien les forces en présence chez les nazis, même s’ils ont une fâcheuse tendance à les amplifier, ce qui va poser problème à la fin des années 1930.
En recoupant diverses informations issues de leurs différentes sources humaines allemandes, mais aussi de la presse, les Français arrivent à estimer avec précision l’avancée du réarmement allemand, notamment de la Luftwaffe, l’armée de l’air pourtant prohibée en vertu du traité de Versailles. Ce réarmement donne une consistance menaçante aux tensions générées par la redéfinition des frontières à la fin de la Grande guerre aux dépens de l’Italie et de l’Allemagne. La paix de Versailles, voulue par Clemenceau pour mettre à genoux la puissance germanique et venger la défaite de 1871, avait suscité outre-Rhin de nombreux espoirs de revanche dans les milieux militaires, mais aussi à l’extrême droite. L’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933 allait ainsi donner aux milieux militaires l’occasion de se doter d’une véritable armée, bien plus conséquente que la faible Reichswehr tolérée par Versailles. Dès 1935, que ce soit la Kriegsmarine, la Luftwaffe ou la Wehrmacht, Hitler dote toute son armée de moyens gigantesques pour lui faire rattraper son retard et la doter de matériel ultra-performant, à l’image des avions Stukas ou des chars Tigre (dont le programme est lancé en 1937).
Malgré toutes les dispositions prises par les nazis pour tenir leur programme de réarmement le plus secret possible, les services français, bien implantés depuis les années 1920 en Allemagne, réussissent à assez bien identifier les nouvelles armes d’Hitler. Ils ne commettent qu’une erreur, mais elle est majeure : celle de surestimer la formation des officiers et surtout les capacités de mobilisation en hommes en cas de conflit.
Dysfonctionnement des relations entre armée et gouvernement français (...)
De fait, en pleine crise économique des années 1930, les différents gouvernements qui se succèdent limitent les dépenses militaires pour préserver les finances publiques. Face à cette situation tendue entre militaires et pouvoir civil, les premiers pensent qu’il faut exagérer la menace allemande pour attiser la peur des décideurs et les inciter à débloquer les crédits nécessaires à la modernisation de l’armée française. En effet, la Marine, l’armée de Terre et celle de l’air disposent toutes de matériel en quantité suffisante, mais il est vieillissant. Or, c’est un effet bien différent qu’a produit cette peur : à chaque fois que Hitler a outrepassé les droits de l’Allemagne définis par le traité de Versailles, la France a reculé et n’a pas montré la fermeté dont elle aurait raisonnablement pu faire preuve, essentiellement poussée en cela par la crainte d’une l’armée allemande restructurée dont la puissance avait été exagérée par les militaires. Chaque reculade française est alors une victoire pour Hitler, qui continue de renforcer son armée. (...)
La France et la menace nazie retrace donc le jeu du chat et de la souris auquel se livrent la France et l’Allemagne dans les années 1930, par services d’espionnage interposés. À ce jeu-là, on peut considérer les services français comme gagnants dans la mesure où ils sont très bien renseignés sur la situation allemande. Pourtant, cet avantage ne se traduit pas dans le réarmement de l’armée française, qui débute tardivement et timidement sous le Front Populaire et ne s’accélère qu’avec Daladier (1938-1940). Surtout, il exacerbe la peur de la puissance allemande chez les gouvernants français, ce qui conduit à de nombreuses tergiversations françaises et anglaises qui laissent alors les coudées franches à Hitler et qui conduisent directement au désastre de mai-juin 1940. (...)
