

Dossier lacunaire, chiffres tronqués, arguments d’autorité, référentiel archaïque : le vieux projet d’autoroute A69 dans le sud du Tarn avance en dépit des engagements environnementaux du gouvernement et de la sécheresse qui vient. Mais le ministère des transports est en train de réexaminer le projet, selon les informations de Mediapart.
Pour une fois, le ministère de l’intérieur a placé une lutte écologiste sous le feu des projecteurs. Depuis que Gérald Darmanin a déclaré devant la commission des lois de l’Assemblée nationale qu’une ZAD pourrait voir le jour contre le projet d’autoroute Toulouse-Castres (entre la Haute-Garonne et le Tarn), le vieux projet routier a pris l’allure d’une cause nationale. Les 22 et 23 avril, un rassemblement doit réunir les opposant·es à l’A69, à l’appel de La voie est libre, un collectif local, d’Extinction Rebellion Toulouse, du syndicat agricole Confédération paysanne et des Soulèvements de la terre. La menace de dissolution planant sur ce mouvement attise les soutiens militants et la méfiance des forces de l’ordre. Derrière cette agitation médiatique s’annonce l’un des pires projets du moment, en France, pour les milieux vivants.
Cinquante-quatre kilomètres de route, en deux fois deux voies, dont 44 km de voirie neuve, doivent être construits au cœur d’un paysage de champs, de vignes, de fermes, de prairies, de vergers, de parcs et de haies. Au total, ce sont 366 hectares – l’équivalent de 500 terrains de foot – qui doivent être artificialisés. Concrètement, ils vont perdre leur fonction naturelle de sols vivants. S’y ajoutent 135 hectares (soit 185 terrains) d’emprise temporaire pour le chantier. « Clairement, cela fait partie des plus grandes surfaces autorisées à l’artificialisation » aujourd’hui en France concernant des terres cultivées et naturelles, confie un expert du Conseil national de protection de la nature (CNPN), l’instance d’expertise scientifique compétente en matière de protection de la biodiversité – dont les membres ont pour usage de ne pas s’exprimer publiquement. « Il n’y a pas d’équivalent en France aujourd’hui hormis deux ou trois autres projets routiers aux caractéristiques proches. » (...)
À lire ce projet, on a la troublante impression d’être retombé dans le passé, à une époque où le dérèglement climatique n’était pas encore connu, et l’extinction massive d’espèces vivantes pas repérée. D’ailleurs, ni le mot « climat » ni celui de « biodiversité » n’apparaissent dans l’exposé des motifs justifiant le caractère d’utilité publique de l’autoroute. L’« eau » y figure, mais à l’intérieur des mots « barreau » et « réseau » routier. (...)
Un projet relancé par la Macronie
Mais au sein du gouvernement, des questions commencent à se poser, selon les informations de Mediapart. Le ministre des transports, Clément Beaune, « a souhaité réexaminer l’ensemble des projets autoroutiers actuellement envisagés, et le projet d’A69 ne fait pas exception », explique son entourage. Le ministère veut réinterroger les infrastructures programmées eu égard aux enjeux de 2023 : climat, biodiversité, artificialisation. Dans cette approche pragmatique, « l’analyse du projet d’autoroute A69 est en cours », si bien que « dans ce cadre rien n’est définitif ». Pourtant les travaux ont commencé dans le Tarn. Des arbres ont été abattus (voir ici le reportage d’Emmanuel Riondé). Les travaux de déviation de réseaux doivent commencer bientôt, les terrassements sont prévus pour septembre. L’autoroute doit être livrée fin 2025.
Lancé dans les années 1990, le projet d’autoroute entre Castres et Toulouse a été remis sur la table par la Macronie. (...)
Dans un pays ébranlé par la canicule de 2022 (plus de 10 000 décès selon Santé publique France) et la confrontation à une sécheresse de plus en plus précoce et étendue, comment expliquer qu’un projet si fortement mis en cause pour son impact climatique bénéficie du feu vert de l’État ? La réponse tient en une expression un peu barbare mais déterminante : la « raison impérative d’intérêt public majeur ».
Le 3 mars 2023, la préfecture de Haute-Garonne a publié un arrêté d’autorisation environnementale pour l’A69. Cet acte administratif marque le top départ des travaux de l’autoroute. Pour quels motifs ? « Le projet de liaison autoroutière Castres-Verfeil répond à une raison impérative d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique et pour des motifs de sécurité publique. » Cet intérêt public majeur est « d’une importance telle qu’il peut être mis en balance avec l’objectif de conservation des habitats, de la faune et de la flore ».
Un intérêt public majeur limité (...)
Cette raison impérative d’intérêt public majeur, c’est « le cœur du sujet » selon Alice Terrasse, avocate des opposant·es à l’autoroute. « Car selon la Cour de justice européenne, elle ne peut exister que s’il existe “une impérieuse nécessité” de mener à bien le projet. Mais le compte n’y est pas. » Disposant déjà d’un aéroport, d’une route nationale et d’une ligne ferroviaire la reliant à Toulouse, la ville de Castres est-elle vraiment isolée ? Les autoroutes créent-elles des emplois locaux ou permettent-elles aux salarié·es déjà en poste d’habiter plus loin de leur travail ?
Pour l’Autorité environnementale, la justification de raisons impératives d’intérêt public majeur « apparaît limitée » au regard de ses incidences sur les milieux naturels. Et le CNPN remarque qu’elle s’appuie « essentiellement » sur des considérations économiques sans démontrer le lien entre voie rapide et attractivité du territoire. (...)
La puissance publique s’est-elle posé les bonnes questions avant de relancer ce projet d’autoroute ? Il est permis d’en douter au regard de toutes les failles du dossier. (...)
Sollicitée par Mediapart, la préfecture de région se contente de renvoyer vers le décret d’utilité publique et l’arrêté d’autorisation du projet.
Ces biais pro-autoroute de l’État et des élu·es, en accord avec les gros acteurs économiques du territoire, face à une opposition grandissante réunissant le monde paysan, collectifs écologistes et urbains écœurés du béton, rappellent une autre affaire : celle de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Le projet avait été finalement abandonné après dix ans de lutte acharnée dans le bocage nantais.