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Camp d’internement de Rivesaltes : retour sur une sale Histoire de France
Article mis en ligne le 12 octobre 2015
dernière modification le 4 octobre 2015

L’année 2015 aura été celle de la mémoire du camp de Rivesaltes qui a “accueilli” successivement républicains espagnol, juifs, Tsiganes, harkis ou encore immigrés clandestins. En février dernier, soit quelques mois avant l’inauguration du mémorial le 16 octobre prochain, l’historien Nicolas Lebourg publiait, avec Abderahmen Moumen, un ouvrage de mémoire sur ce “Drancy du sud”. Entretien.

A 11 km de Perpignan, dans les Pyrénées-Orientales, se trouve la commune de Rivesaltes, connue pour son vin doux naturel éponyme, son muscat… et son camp d’internement. En activité de 1939 à 2007, le camp militaire Joffre – de son vrai nom – a traversé les périodes sombres de la seconde partie du XXe siècle et amassé bon nombre d’indésirables dont l’Etat français ne voulait pas s’occuper.

Alors que le Premier ministre Manuel Valls inaugurera le mémorial du camp de Rivesaltes le 16 octobre prochain, nous avons interrogé Nicolas Lebourg, chercheur associé au CEPEL (CNRS-Université de Montpellier) et à l’Observatoire des radicalités politiques (Fondation Jean Jaurès), co-auteur de “Rivesaltes, le camp de la France. 1939 à nos jours” (éd. Trabucaire, 2015). (...)

Je suis un spécialiste de l’extrême droite, donc ce qui est intéressant pour moi dans ce travail c’est qu’avec un camp comme le camp de Rivesaltes, vous avez la rencontre de la demande sociale autoritaire, qui émane de la société, et de l’offre autoritaire, que l’on trouve dans l’Etat et dans les élites. Le 12 novembre 1938, la Troisième République vote un décret qui permet l’internement des “indésirables étrangers” en “camps de concentration” suite à une série de faits divers impliquant des étrangers. En 1939, vous avez la Retirada, c’est-à-dire ce grand exil de 450 000 républicains espagnols qui passent la frontière.

On va utiliser le décret : en mars 1939 il y a 264 000 Espagnols dans les camps des Pyrénées Orientales. Quand le décret a été pris, il y a un climat de l’opinion – d’ailleurs, on n’est pas perdus par rapport à aujourd’hui – où vous avez, dans les élites, l’idée du caractère non-inassimilable au niveau ethno-culturel des migrants. C’est une idée qui a fait son chemin et qui est partagée par une grande part des élites : il faut contrôler les migrants car ils posent des problèmes, rendent instable la population, on ne peut pas tenir une population s’il y a une trop grande diversité ethno-culturelle. Du côté des classes populaires, vous avez une critique de ces migrants sur la question de l’accès au marché de l’emploi – pas que chez les classes populaires, d’ailleurs, car il y a des dispositions légales prises pour les médecins par exemple. Ces questionnements-là ont permis le décret de 1938. Vous avez un Etat qui se pose la question de la biopolitique, qui est la façon dont l’Etat se construit par le contrôle des corps : si vous avez une carte d’identité dans votre portefeuille actuellement, c’est parce qu’en 1912, on fabrique les premières pour les gitans afin de contrôler leur nomadisme. Cela a été étendu ensuite à l’ensemble de la population. Cette question de contrôle biologique et politique est au coeur du camp de Rivesaltes pendant 70 ans. Bien évidemment, quand vous vous intéressez à l’extrême droite, vous êtes complètement à l’aise sur cette question-là. (...)

A qui s’adresse ce livre ?

Quand on a fait cet ouvrage, on a choisi un éditeur local exprès parce qu’on voulait absolument qu’il s’adresse à la population locale. Le fait d’avoir un tel camp mis en lumière a jeté le trouble dans la population locale quant à savoir comment elle s’était comportée et comment on allait désormais la présenter. On a voulu faire un livre très didactique, avec énormément de statistiques, beaucoup d’informations sur ce qu’est la vie quotidienne dans les différentes périodes du camp, de manière à ce que les gens intéressés par ce camp puissent savoir exactement ce qu’il se passait : combien de personnes, de quand à quand, en vivant comment, etc. ? Il fallait arriver à déconstruire les mythologies pour donner l’aspect le plus proche du réel possible et avec une dernière partie sur l’usage politique du camp, la fabrique de la mémoire, les rôles des partis politiques et le sens qu’a ce camp aujourd’hui.

Il y a un camp à Rivesaltes durant trois républiques et durant Vichy. A partir de là, il y a deux drames. Le premier, c’est de dire aux gens : vous voyez, c’est la preuve que tout ça c’est pareil, que les trois républiques et Vichy c’est le même système de salopards, la “France rance”, etc. Là on est dans la mythomanie victimaire et dans la manipulation mémorielle parce que c’est bien plus compliqué que ça. L’autre drame est de dire : ce sont des accidents, c”est intéressant parce ça permet de parler de tout ça au même endroit, mais en vérité ça n’a pas beaucoup de sens que ce soit au même endroit, ce n’est qu’une coïncidence. Ce qui est aussi une tentation. Non, ça fait sens : ça permet de comprendre quelque chose sur l’histoire de l’Etat et de la société française. (...)