
C’est pour leur bien qu’hier on enfermait les migrants dans un camp à Calais. Aujourd’hui, c’est pour leur bien qu’on les chasse. Et c’est pour leur bien qu’on réprimera leurs protestations et leurs résistances. On pense à Orwell : « la guerre, c’est la paix ; la liberté, c’est l’esclavage. » C’est que la bataille politique se joue d’abord sur le terrain du vocabulaire.
On aura donc échappé à la date du 17 octobre, initialement prévue par nos politiques : peut-être ont-ils fini par comprendre que le symbole colonial de cet anniversaire ne serait pas très heureux pour gérer l’immigration, cinquante cinq ans après le massacre d’État d’Algériens à Paris. Reste que les pouvoirs publics font bien une démonstration de force. On pourrait même parler de monstration, puisque 700 journalistes environ sont accrédités pour l’occasion : le monde entier est convié au spectacle de la puissance de l’État français. Autant dire que cette gesticulation s’inscrit dans le contexte de l’élection présidentielle à venir : à Calais, on bat la campagne.
Sans doute pareille mise en scène ne manque-t-elle pas d’ironie : c’est qu’elle se répète, à la manière d’un jour sans fin – mais sans happy end. Déjà en 2002, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, fermait le centre d’accueil de Sangatte ; en 2009, c’est Éric Besson, son successeur, qui parade à Calais devant les caméras : une fois encore, on promet de mettre fin au problème. Il s’agissait alors de quelques centaines de personnes ; aujourd’hui, comme le rappelle le blog Passeurs d’hospitalité, elles seraient encore plus de 8000, dont 1300 mineurs non-accompagnés. Les succès de nos ministres rappellent ainsi, après l’offensive en Irak, le triomphe de George W. Bush sur un porte-avions en 2003 : « Mission accomplie ». On sait ce qu’il en est aujourd’hui. Bref, le tragique de répétition ne fait que signifier l’impuissance de la puissance publique.
Il n’empêche : pas question pour le gouvernement d’apparaître cynique. Au contraire, c’est précisément en ces termes que le ministre de l’Intérieur qualifie, dans La Voix du Nord, les militants qui résisteraient à l’évacuation : « Les No Border sont des cyniques qui instrumentalisent la misère d’hommes et de femmes désespérés. » Avec la ministre du logement, Bernard Cazeneuve leur oppose le 18 octobre un communiqué aux accents généreux : « La France est un grand pays. Son histoire, sa tradition et ses valeurs commandent que des solutions adaptées soient proposées à ces hommes, femmes et enfants qui ont été jetés sur les chemins de l’exil par les guerres et les persécutions, et qui ont gagné Calais dans l’illusion d’un passage au Royaume-Uni que leur ont promis des acteurs cyniques de la traite des êtres humains. » (...)