
À Glasgow, des femmes représentantes des peuples autochtones brésiliens arpentent les couloirs des négociations climatiques comme les manifestations. Mediapart est allé à leur rencontre alors que se discute à la COP26 la régulation des marchés du carbone, un mécanisme d’échange de droits d’émissions de CO2 qui impacte tout particulièrement les territoires autochtones.
C’est un des points de discussion les plus tendus de la table des négociations climatiques de cette COP26. Le complexe et technique article 6 de l’accord de Paris de 2015 vise à mettre en place un marché international du carbone, c’est-à-dire des mécanismes d’échange de droits d’émissions de gaz à effet de serre entre des pays ou des entreprises qui en émettent trop, et des pays ou des firmes qui en émettent moins.
Pour l’instant, cette marchandisation du CO2 manque terriblement de régulation et a surtout servi à maintenir le business as usual des plus gros émetteurs. Une des principales dérives de ce marché carbone est que des multinationales climaticides ou des États riches en abusent en finançant des projets de compensation de leurs émissions via des actions de reforestation.
« Le problème, c’est que ce sont des milliers d’arbres qui sont plantés à chaque projet. Total envisage par exemple de planter en monoculture plus de 40 millions d’acacias en République du Congo. Ce sont des milliers d’hectares de terres d’où vont être expulsées des communautés autochtones ou paysannes », précise à Mediapart Myrto Tilianaki de CCFD-Terre Solidaire.
En août dernier, Oxfam a estimé que si l’on prenait en compte tous les engagements de neutralité carbone des États et des entreprises, l’ensemble des terres cultivées de la planète serait occupé par des projets de compensation carbone. « C’est bien en réduisant drastiquement les émissions de gaz à effet de serre à la source et non en les compensant par des projets dans les pays du Sud qu’on lutte contre les dérèglements climatiques », insiste Myrto Tilianaki.
Les droits humains sacrifiés sur l’autel du marché carbone
Le Brésil est en première ligne des velléités de compensation carbone des grandes entreprises. La valeur financière attribuée au carbone stocké par la forêt amazonienne est énorme. Et les mécanismes de marché permettent aux groupes industriels de compenser leurs émissions en finançant des projets qui sanctuarisent les forêts brésiliennes au détriment des peuples amérindiens autochtones qui vivent sur ces territoires. (...)
Le 10 novembre 2021, dans une arrière-salle du Centre for Contemporary Arts de Glasgow, un rassemblement intitulé Cura da Terra– « Soin de la Terre », en portugais – était organisé par et pour les femmes autochtones présentes à la COP26.
Au sein de cette assemblée militante étaient présentes Sonia Guajajara et Telma Taurepang, deux représentantes des peuples autochtones brésiliens. Elles sont venues spécialement à Glasgow avec une vingtaine d’autres déléguées de l’APIB (Articulação dos Povos Indígenas do Brasil), la coordination du mouvement indigène brésilien. Ce réseau rassemble plus de deux cents collectifs et organisations locales à travers le pays et se revendique le porte-voix de plus de 305 peuples autochtones. (...)
Sonia Guajajara : À Glasgow se discutent les mécanismes de lutte contre les dérèglements climatiques. C’est un espace de décision qui inclut la question des droits humains mais qui, paradoxalement, ne prend pas en considération les revendications des peuples qui vivent au sein des territoires autochtones.
Nous sommes donc venues faire entendre les voix des peuples indigènes au sein de ces négociations internationales.
Nous faisons partie de la solution climatique puisque plus de 80 % de la biodiversité mondiale est sous la responsabilité directe des populations autochtones. Protéger les terres et les droits indigènes signifie donc protéger les forêts qui représentent des puits de carbone indispensables à l’équilibre climatique. On estime que les stocks de carbone en réserve dans les territoires indigènes brésiliens représentent un tiers de tout le carbone séquestré par la forêt amazonienne du pays et l’équivalent de deux ans d’émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Mais au Brésil, les droits indigènes sont méthodiquement démantelés depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro pour faciliter l’exploitation des ressources pétrolières, des forêts, des minerais et des corps des femmes autochtones.
Telma Taurepang : Je suis ici en tant que représentante de l’Anmiga (Articulação Nacional das Mulheres Indígenas Guerreiras da Ancestralidad), un réseau national des femmes autochtones brésiliennes – une organisation membre de l’APIB.
Nous sommes dans un moment d’union inédit des différents mouvements de luttes autochtones face à un Jair Bolsonaro qui a eu un impact néfaste sur la vie des peuples autochtones, et, en conséquence, sur le climat. Il a donné un blanc-seing aux entreprises extractivistes, ce qui accélère la destruction de nos territoires comme le réchauffement planétaire. (...)
Nous avons à faire face aux mêmes violences et aux mêmes industriels forestiers, agricoles et miniers dans les territoires autochtones Taurepang (État du Roraima, à l’extrême nord du Brésil). Ce qui est important à retenir, c’est que pour faire toujours plus de profits sur le dos de la Terre, ces violences dont font l’objet depuis cinq cents ans les peuples autochtones brésiliens sont en passe d’être légalisées et inscrites dans la Constitution du pays. (...)
Les marchés carbone ne servent qu’à une seule chose : permettre aux États et aux entreprises de payer pour pouvoir continuer à polluer