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COP26 : le gâchis et la déception d’un accord a minima
Article mis en ligne le 14 novembre 2021

L’accord adopté à l’issue de la COP26 de Glasgow est largement insuffisant pour limiter à 1,5 °C la hausse globale des températures. Les demandes de financement des pays pauvres qui en subiront le plus les effets ont été écartées tandis que les promesses de sortie des énergies fossiles ont été affaiblies.

En ratifiant l’Accord de Paris en 2015, les États s’étaient engagés à contenir le réchauffement climatique « nettement en dessous des 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels ». Alok Sharma, président britannique de la COP26, répétait même à l’envi que le sommet devait permettre de « garder en vie le 1,5 °C » et pousser les États du monde à accroître leurs engagements climatiques afin d’y parvenir.

Quelques progrès ont été obtenus. Dès le premier jour de négociation, une centaine de pays ont promis de réduire leurs émissions de méthane — un puissant gaz à effet de serre — de 30 % d’ici 2030. L’Inde a également annoncé qu’elle atteindrait l’objectif de zéro émissions nettes de carbone d’ici 2070.

Néanmoins, les engagements des pays pour « garder en vie le 1,5 °C » restent largement insuffisants. La Russie, l’Australie, le Mexique, le Brésil et l’Indonésie, qui avaient soumis des plans d’une ambition égale, voire inférieure à leurs précédents, transmis en 2015, n’ont par exemple pas daigné les améliorer. Le groupe de recherche Climate Action Tracker (CAT) a révélé, mardi 9 novembre, que même si les contributions nationales déterminées (CND) pour 2030 étaient véritablement tenues, le monde se dirigerait vers un réchauffement à + 2,4 °C d’ici la fin du siècle (...)

Pour aligner les ambitions à l’urgence, l’accord de Glasgow « encourage » toutes les parties à soumettre dès l’année prochaine de nouveaux plans en phase avec « les objectifs de températures de l’accord de Paris », ce qui laisse la porte ouverte à un objectif à 2 degrés. (...)

La sortie des énergies fossiles intégrée à l’accord de Glasgow, mais de façon édulcorée (...)

« Au centre de ce mouvement de désinvestissement des énergies fossiles, il y a la prise de conscience que pendant trop longtemps, les gens ont mis la pression sur les consommateurs en leur disant "En faites-vous assez ?" ou "Utilisez-vous la bonne ampoule ?". À la place, nous devons nous attaquer à la source du problème : à la mine, au puits de pétrole, au pipeline de gaz », a déclaré le ministre irlandais du Climat, Eamon Rayn, lors de la conférence de presse de lancement de la Beyond Oil and Gas Alliance (Boga), auquel son pays s’est rallié.

Surtout, l’accord adopté à Glasgow mentionne la sortie progressive du charbon ainsi que des subventions aux combustibles fossiles. Depuis près de trente ans, les négociations climatiques internationales n’avaient jamais permis de mettre à l’index les énergies fossiles, pourtant à l’origine de près de 90 % des émissions mondiales de CO₂ et de 70 % des émissions totales de gaz à effet de serre. C’est désormais chose faite, n’en déplaise aux pays pétroliers comme l’Arabie saoudite, la Russie ou l’Australie, qui ont fait pression jusqu’au bout pour faire supprimer ce passage, estimant que leur mix énergétique national n’était pas négociable. Ces pays ont toutefois réussi à considérablement l’édulcorer par rapport à la première mouture du texte qui avait été révélée mercredi. Ému aux larmes, le président de la COP26 Alok Sharma s’est dit « profondément désolé », samedi soir, pour l’affaiblissement de ce passage, détricoté jusqu’à la dernière minute. (...)

« Malheureusement, la version finale est largement insuffisante, déplore auprès de Reporterre Nicolas Haeringer, l’animateur en France de 350.org. L’accord mentionne seulement une suppression progressive du charbon "non compensé à la source", et c’est une brèche dans laquelle vont pouvoir s’engouffrer les États malveillants. C’est un vrai recul, le texte n’est pas assez contraignant, nous ne pouvons pas nous en satisfaire. » (...)

Les pays vulnérables abandonnés

Au Scottish Event Campus de Glasgow, l’autre sujet crucial concernait les pays les plus vulnérables face aux effets du changement. Les pays du Sud et les ONG demandaient la création d’un mécanisme de financement spécifique pour financer les « pertes et dommages », c’est-à-dire les dégâts irréversibles générés par des catastrophes climatiques soudaines ou les phénomènes à occurrence lente, comme la montée du niveau des mers ou la désertification des sols, qui ne peuvent être évités ni par des actions de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ni par l’adaptation.

Durant la COP26, malgré les efforts de l’Écosse, de la Wallonie et de l’Allemagne, cette demande a capoté à cause des États-Unis et de l’Union européenne (notamment la France), historiquement responsables du changement climatique. Ils craignaient, en effet, que la reconnaissance des pertes et préjudices n’entraînent des poursuites judiciaires à leur égard. (...)

Le texte de Glasgow engage les États à doubler leurs financements pour l’adaptation. « Une promesse très insuffisante par rapport aux besoins et à ce que demandaient les pays en développement », juge Armelle Le Comte, porte-parole d’Oxfam France. (...)

« Les textes de décision reflètent le cynisme des pays riches. » (...)

Les États jettent leur dévolu sur les marchés carbone (...)

« Avec l’adoption de cet article 6, les États entérinent la remise en cause de l’intégrité de l’Accord de Paris en faisant des marchés et de la compensation carbone un levier de leur action, déplore Myrto Tilianaki, de CCFD - Terre Solidaire. La compensation carbone détourne de l’effort prioritaire de réduction d’émissions et met en péril l’objectif de 1,5 °C. Ce n’est pas un hasard si les principaux pollueurs ont multiplié les annonces de neutralité carbone et fait la promotion des marchés carbone pendant la COP26 : cela permet de continuer leur business as usual prédateur pour le climat, la biodiversité et les droits humains. »

Une des principales dérives de ces marchés carbone est, en effet, que des multinationales ou des États financent des projets de reforestation en compensation de leurs émissions. Or, des communautés autochtones sont parfois chassées des terres convoitées. « Dans les faits, cela veut dire que les communautés indigènes ne peuvent plus venir y chasser, pêcher ou même venir cueillir des plantes pour se soigner », a déploré Eriel Deranger, directrice exécutive de l’organisation Indigenous Climate Action, lors d’une manifestation en marge de la COP26. (...)

La France a longtemps brillé par son absence dans les différentes coalitions visant à sortir des énergies fossiles. Jusqu’au vendredi 12 novembre, elle était le seul pays de la coalition Export Finance for Future, qu’elle a elle-même lancée en avril dernier pour « accélérer la sortie progressive du financement des projets fortement émetteurs de gaz à effet de serre », à ne pas avoir renoncé à financer de projets fossiles à l’international d’ici à fin 2022. Sur le fil, elle a finalement rejoint cette coalition et fait partie des fondatrices de l’alliance Boga, qui l’engage à ne plus délivrer de nouvelles licences d’exploration et d’exploitation de pétrole et de gaz. Une annonce tempérée le jour même par Bercy, qui a annoncé au Monde qu’aucun projet ne sera abandonné dans l’immédiat « parce qu’il n’y en a pas sans captage et stockage de CO₂ ».

Surtout, la France a manœuvré pour que le gaz et le nucléaire soient inclus dans la « taxonomie verte » européenne des investissements dans les énergies vertes. Elle aurait, en effet, cosigné un texte avec la Pologne, la Hongrie et la République tchèque afin de les faire accepter dans la liste. Mardi 9 novembre, en pleine COP, Emmanuel Macron a annoncé la construction de nouveaux réacteurs nucléaires en France. Deux jours plus tard, cinq pays — l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, le Luxembourg et le Portugal — ont publié une déclaration commune pour une taxonomie européenne sans nucléaire.

Ainsi divisée, l’Europe serait restée, selon plusieurs observatrices, très en retrait dans les négociations, sauf pour faire capoter les « pertes et dommages » pour les pays vulnérables. (...)

Pendant que la société civile manifeste, les lobbies fossiles gangrènent la COP26

La société civile a manifesté du premier au dernier jour du sommet pour maintenir la pression sur les gouvernements, et tenter de briser le cycle de « trente années de bla-bla » sur le climat, comme n’a cessé de le dénoncer la jeune activiste suédoise Greta Thunberg. Point d’orgue de ces mobilisations : les marches du samedi 6 novembre à Glasgow et partout ailleurs dans le monde, durant lesquelles des centaines de milliers de citoyens ont exigé une action climatique plus ambitieuse. (...)

« Les peuples à l’intérieur, les pollueurs dehors ! »

Pendant ce temps, à l’intérieur du Scottish Event Campus de Glasgow, qui abritait la COP26, le nombre de lobbyistes des énergies fossiles était plus important que celui de n’importe quel État. Il était même supérieur au total des délégations des huit pays les plus touchés par le changement climatique au cours des deux dernières décennies, selon des militants climatiques emmenés par Global Witness à partir des données des Nations unies. « Il faut vraiment interdire d’accès aux COP les lobbies de l’industrie fossile, affirme Nicolas Haeringer. Les peuples à l’intérieur, les pollueurs dehors ! Pour l’instant, c’est l’inverse qui se passe et ça a des effets désastreux. » (...)

Le but de ces participants était-il vraiment de « garder en vie le 1,5 °C » nécessaire pour limiter les effets désastreux du changement climatique ?