
Malgré le raout médiatique, l’« affaire des bébés sans bras » patine, mais les autorités sanitaires doivent rendre aujourd’hui ( 11 juillet 2019 ) leur rapport. La lanceuse d’alerte Emmanuelle Amar aimerait creuser la piste des réseaux d’eau potable, potentiellement pollués. Reporterre fait le point.
Au moins 15 enfants nés sans bras dans trois villages ruraux de France, entre 2007 et 2014. Des alertes répétées de médecins locaux. Des soupçons sur des substances pesticides. Un raout médiatique à l’automne 2018. Et toujours rien. Les autorités sanitaires – Santé publique France et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement
et du travail (Anses) – ne semblent pas pressées de relancer « l’affaire des bébés sans bras ».
Après plusieurs mois de tergiversation, le gouvernement a mis sur pied, en février dernier, deux comités de suivi – l’un regroupant des experts scientifiques, l’autre représentant les familles et les associations – avec pour mission de faire la lumière sur la répétition de ces malformations rares, qui concernent normalement moins de 2 naissances sur 10.000. Leurs premières conclusions devaient arriver fin juin... Elles sont finalement attendues pour ce jeudi 11 juillet. (...)
Reporterre fait le point sur cette affaire, qui serait certainement restée dans les tiroirs des agences sanitaires sans la ténacité d’Emmanuelle Amar, directrice du Registre des malformations de la région Rhône-Alpes (Remera), et lanceuse d’alerte. (...)
Les réseaux d’eau potable potentiellement pollués pourraient être la cause des malformations (...)
« Ces huit cas se situent dans la Dombes, un territoire agricole qui a la particularité d’être recouvert d’étangs, précise sa directrice. Les étangs, comme toutes les zones humides, concentrent les pollutions. Les écoulements des épandages agricoles vont dans ces marécages puis s’infiltrent dans les nappes phréatiques. » L’eau qui abreuve les villages de la Dombes est justement puisée dans ces nappes. « Des traitements de potabilisation et de dépollution sont bien faits, mais on ne trouve que les substances que l’on cherche », ajoute Mme Amar. (...)
Or, on ne cherche pas les substances pesticides interdites depuis longtemps, les produits chimiques issus de contrefaçon et les produits phytosanitaires qui se seraient dégradés, sous l’effet des UV par exemple. La lanceuse d’alerte évoque aussi des « cocktails » de molécules chimiques ou encore une substance non vendue et testée en plein champ dans le cadre d’une autorisation de mise sur le marché. D’autant plus que dans cette région, plusieurs agriculteurs ont rapporté des naissances de veaux sans côtes ou sans queue avant 2014. Mais le Remera n’a ni les compétences ni les moyens de vérifier tout ceci. (...)
Santé publique France a estimé que les preuves n’étaient pas suffisantes. « L’évaluation des données environnementales n’a pas mis en évidence d’exposition à risque dans l’environnement des mères hormis le fait qu’elles résident dans un milieu rural à dominante agricole », soulignait l’institut dans son rapport publié en octobre 2018. (...)
Pour les autorités sanitaires, la prévalence des malformations n’est pas anormale
Pire, après avoir fait des analyses statistiques, l’institut sanitaire a considéré que le nombre de cas découverts n’était pas anormal et a décidé de clore le dossier. Un constat que rejette la directrice du Remera : « Grâce au logiciel SaTScan [un outil statistique reconnu] nous avons pu identifier une zone de 67 communes, centrée sur le village de Druillat, où les malformations sont en surnombre. » Pour elle, il est donc très improbable que ces malformations soient dues au hasard. (...)
« Les familles de l’Ain n’ont pas été sollicitées par le comité scientifique », déplore Mme Amar. « On nous dit que tout a été fait, mais c’est faux », enchérit Michelle Cosmao, de l’Assedea. Toutes les deux espèrent que la réunion du 11 juillet permettra d’avancer. Elles demandent notamment un séquençage du génome des enfants concernés. Et un meilleur suivi des malformations survenues pendant la grossesse : aujourd’hui, seul un cinquième du territoire national fait l’objet d’une surveillance des anomalies congénitales.
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"L’Ain ce n’était finalement que six cas sur une très longue période, dans six communes différentes, dont certaines sont assez éloignées", estime le professeur Alexandre Benachi, présidente du comité d’experts. Pour eux, le nombre de malformations dans le département n’est donc pas anormal, une décision que contestent les familles.