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Amnesty International
Aux Etats-Unis, le lobbying des "évangéliques" menace les droits humain
Article mis en ligne le 9 mai 2022

Les "évangéliques" ont le vent en poupe avec environ 665 millions de fidèles dans le monde. Dans certains pays, comme aux Etats-Unis, cette frange du christianisme protestant dispose de puissants relais. Ils ont investi la scène politique pour contrecarrer des avancées sur le plan des droits humains. Et leur influence politique est grandissante. En témoigne le possible réexamen par la Cour suprême américaine de l’arrêt Roe vs. Wade, reconnaissant le droit des femmes à avorter dans le pays depuis 1973.

Dieu était partout lors des émeutes du 6 janvier 2021. Sur les tee-shirts et les pancartes, dans les prières et les mots d’ordre des émeutiers qui envahissaient le Sénat pour contester le résultat de l’élection présidentielle… Et Dieu était invariablement associé au président sortant Donald Trump. À l’intérieur du Capitole, devant lequel des groupes avaient érigé des croix géantes, le vice-président Mike Pence, alors l’évangélique le plus haut placé des États-Unis, était confronté à un dilemme.

Certifier la victoire du candidat démocrate Joe Biden devant les sénateurs – le protocole basique d’une des plus vieilles démocraties du monde – équivalait à trahir le trumpisme soutenu par la grande majorité des évangéliques. Pence a décidé de la certifier. À l’extérieur, la foule a réclamé sa mise à mort par pendaison.

Plus d’un Américain sur cinq se définit comme « évangélique » ; majoritairement blancs, les évangéliques forment un bloc électoral compact. Ils ont plébiscité Donald Trump lors de l’élection présidentielle de 2016 (77 %) et davantage en 2020 (84 %), soit le plus gros score jamais obtenu par un candidat. L’alliance de la droite chrétienne avec un propriétaire de casinos plusieurs fois divorcé, par ailleurs impliqué dans divers scandales sexuels et escroqueries, pouvait paraître contre nature.

En 2016, Trump n’avait-il pas comparé l’hostie à un « gâteau apéritif » ? Mais « Jésus s’est allié à des messagers imparfaits, et Trump est un messager imparfait », s’était justifié Ralph Reed, porte-parole de l’évangélisme, engagé en politique depuis Reagan et aujourd’hui président du Parti républicain de Géorgie. Le choix de Mike Pence comme colistier symbolisait cette alliance de circonstance, forgée pour accéder au pouvoir, entre l’homme à la mèche peroxydée et la droite religieuse. Quatre ans durant, Mike Pence s’est comporté en soldat du trumpisme. Il a avalé sans broncher les avanies d’un patron très éloigné de ses valeurs morales. « Chrétien, conservateur, et républicain, dans cet ordre », Mike Pence revendique ne jamais boire d’alcool sans la présence de sa femme et ne jamais déjeuner seul avec une personne du sexe opposé pour s’écarter de toute tentation. (...)

UNE NÉBULEUSE D’INFLUENCEURS

Que Mike Pence soit honni par la base évangélique pour avoir respecté le vote du peuple américain symbolise bien la métamorphose d’une religion transformée en projet politique, fusionnant avec le trumpisme et ses tendances les plus paranoïaques. Trois quarts de l’électorat évangélique déclarent approuver la théorie d’une fraude aux élections ; plus d’un quart serait proche de la mouvance QAnon, selon laquelle les démocrates s’adonnent à la pédophilie et au satanisme rituel. (...)

L’évangélisme américain n’a pas d’autorité centrale comme le pape pour les catholiques : il repose sur une nébuleuse d’influenceurs, de pasteurs et de théologiens. Au départ, c’est une doctrine protestante divisée en plusieurs courants, parmi lesquels les baptistes et les presbytériens. Ce qui distingue toutes ces chapelles, c’est l’expérience centrale donnée à la conversion, à l’âge adulte, après une vie de péchés et d’errance. Une conversion vécue comme une « renaissance » (born again, en anglais).

Également, dans la boîte à outils du message évangélique, l’Apocalypse n’est pas intervenue dans le passé biblique, mais adviendra dans un futur plus ou moins proche, et seule une poignée d’élus sera sauvée. Les croyants en tirent une vision plutôt manichéenne du monde. Dans la version politique du mouvement, le mal est aujourd’hui incarné par les démocrates, les « gauchistes », les gays, les élites mondialistes. Il peut aussi se cacher dans des livres pour enfants qualifiés de pornographiques ou assimilés à la sorcellerie.

En février, un pasteur pro-Trump du Tennessee, Greg Locke, a organisé un autodafé de livres de Harry Potter et de Twilight après la messe dominicale, retransmise en livestream. Le mois précédent, le comté de ce pasteur avait banni de ses écoles le roman graphique Maus, d’Art Spiegelman, à cause de scènes de nus. Ces outrances ont été rapportées par CNN et les médias sociaux, ce qui a eu pour effet collatéral de leur offrir une audience nationale. Des prêches évangéliques de plus en plus politiques et enflammés se trouvent relayés par les réseaux sociaux. (...)

Pourtant, lorsque les Églises se font courroie de transmission du trumpisme, de nombreux croyants s’en éloignent. (...)

Quant à l’agenda de l’évangélisme politique, il peut être ainsi résumé : « restreindre le droit des femmes et des minorités, dicter les contenus éducatifs et gommer la séparation entre l’Église et l’État (...)

Joshua Yap, du planning familial de Tulsa, a déclaré au HuffPost que le personnel de sa clinique avait dû tripler ses effectifs depuis septembre pour accueillir des patientes dont 75 % venaient du Texas. Le planning des cliniques de l’Oklahoma affichait déjà complet des semaines à l’avance lorsque la loi texane s’est durcie, retardant la date des interventions et prolongeant les grossesses. En février, on apprenait que les lois sur l’avortement se durciraient à leur tour dans l’Oklahoma, avec des projets de loi de sénateurs évangéliques calqués sur la loi texane. Selon les prédictions de M. Yap, les patientes de l’Oklahoma et du Texas devront prendre la route pour un troisième État, le Kansas, qui ne compte plus que quatre cliniques en activité. Sur le trajet, elles pourront s’accrocher à ce mince espoir : la démographie est de leur côté.

Si les "évangéliques" sont le groupe religieux le plus fermement opposé à l’avortement, des écarts d’opinion sensibles se dessinent, depuis quelques années, selon l’âge des croyants. La pyramide des âges évangélique est vieillissante, et la cause « pro-vie » a beaucoup moins d’attraction chez les jeunes. (...)