
Dans l’archipel de Chiloé, dans le sud du Chili, voilà 200 ans que des Mapuches dénoncent « l’accaparement » et la vente de leurs terres ancestrales par l’État. Le retour de la gauche au pouvoir n’y a pour l’instant rien changé.
« Dans les années 1960, toutes ces forêts ont été vendues à un entrepreneur français qui voulait en exploiter le bois, raconte-t-il en pointant du doigt les collines environnantes. Aujourd’hui, elles font partie du parc naturel de Tantauco. Elles sont la propriété personnelle du milliardaire et ancien président Sebastián Piñera » — au pouvoir jusqu’en mars 2022. (...)
Ironie de l’histoire, Tantauco est aussi le lieu où a été signé, en 1826 le traité marquant l’annexion de Chiloé, dernier bastion colonial espagnol dans la région, au jeune État chilien. Ce texte, qui accorde une protection « inviolable » aux « propriétés des habitants de l’île », constitue le socle juridique sur lequel s’appuient toutes les revendications territoriales. « À Chiloé, sous l’occupation espagnole, les terres sont largement restées aux mains des Mapuches, rappelle Ricardo Alvarez Abel, anthropologue chilote spécialiste des modes de vie insulaires. Mais le traité de Tantauco n’a pas empêché l’État de mettre en place une logique brutale d’aliénation de la propriété et de vendre les terres sans discernement à des particuliers. »
« Ici, toute la terre peut être achetée ou vendue, même une île entière
Ces dernières années, des îles entières de l’archipel ont tout bonnement été mises en vente sur internet. (...)
« On a découvert par hasard il y a trois ans qu’une île avait été mise en vente mais on n’en sait pas beaucoup plus aujourd’hui. On connaît rarement l’identité des vendeurs et encore moins celle des acheteurs ou leurs projets », explique Juan Carlos Viveros, membre de l’association locale Defendamos Chiloé, une des premières à avoir médiatisé le sujet. À l’heure actuelle, au moins 4 des 45 îles de l’archipel ont publiquement été mises en vente et 2 ont officiellement été vendues. (...)
Pour cet économiste de formation, ces transactions entre millionnaires ne sont que la partie visible d’un problème bien plus large. « Au Chili, toute la terre peut être achetée ou vendue que ce soit une parcelle continentale ou une île entière. Il n’existe aucune politique publique sur ces questions pour fixer la limite, pour voir à quel moment la privatisation peut poser problème », s’exclame-t-il en rappelant les cures de néolibéralisme auquel le pays a été soumis de 1973 à 1990, sous la dictature militaire. (...)
« C’est une atteinte à la nature et à notre intégrité d’être humain » (...)
Le risque écologique est d’autant plus important que la région est reconnue pour ses nombreux réservoirs de biodiversité à l’image de l’ile Guafo, dans le sud de l’archipel. (...)
Alors qu’un litige entre les deux propriétaires de cette île paralyse le processus de vente, les communautés indigènes de Chiloé, soutenues par la branche chilienne du Fonds mondial pour la nature (WWF) tentent de la classer en « espace côtier marin des peuples originels ». (...)
Extractivisme énergétique
La lutte contre ce nouveau marché insulaire s’inscrit dans un contexte déjà tendu par le développement de nombreux projets énergétiques, notamment éoliens, rejetés par les communautés Mapuches. (...)
« La création du parc a asséché des tourbières qui permettaient de naturellement stocker l’eau, ce qui bouleverse tout notre réseau hydrographique et le système agricole des communautés voisines », accuse Clementina Lepío Melipichún. (...)
Le rachat de ce parc en décembre dernier par la filiale chilienne d’Engie a été perçu comme une énième offense.Le rachat de ce parc en décembre dernier par la filiale chilienne d’Engie a été perçu comme une énième offense. (...)
Le gouvernement de gauche affaibli par le rejet de la nouvelle Constitution (...)
Le premier projet de Constitution, corédigé par des représentants indigènes prévoyait de faire du Chili un « État pluriethnique » alors que le texte en place depuis 1980 – héritage de la dictature — nie leur existence. Un premier pas vers la « restitution des terres » contre laquelle les partis de droite, majoritaires au Congrès et influents dans la sphère médiatique, ont mené une campagne très offensive. Affaibli par le refus massif du texte en septembre 2022, le gouvernement a été contraint de céder à plusieurs revendications de l’opposition pour éviter la paralysie institutionnelle. En décembre dernier, le processus constitutionnel a été relancé. Mais cette fois, aucun Mapuche n’a été convié à sa rédaction. (...)