
Le 17 octobre, le Canada est devenu le premier pays du G7 à légaliser le cannabis récréatif. Les grosses sociétés dominent déjà ce marché lucratif, qui s’annonce difficile à percer pour les petits producteurs.
Stéphane Papineau est un entrepreneur nouveau genre au Canada : c’est un cultivateur de marijuana. Il produit le Québec Gold, selon lui « la meilleure qualité de cannabis que l’on retrouve sur le marché noir ». Sa compagnie, Agri-Médic, a enregistré cette marque et la cultive en hydroponie dans un bâtiment industriel de 400 m² au nord de Montréal. Deux extensions de 1.500 m² sont prévues, et les effectifs passeront de 15 à 39 employés d’ici à la fin 2019. La production annuelle sera alors de 1.200 à 1.500 kg, ce qui fera de lui un producteur modeste.
L’entrepreneur espère percer le marché du cannabis récréatif(...)
Pour l’instant, seuls les patients disposant d’une ordonnance médicale peuvent consommer légalement le Québec Gold. Il a fallu quatre ans à M. Papineau pour obtenir de Santé Canada, le ministère fédéral de la Santé, le permis de faire pousser cette « médecine ». « Question sécurité et hygiène, ce qu’on nous demande est très lourd. C’est un grade pharmaceutique qui est exigé, comme dans un laboratoire. »
Santé Canada impose aux producteurs de s’équiper d’un système de filtration de l’air, afin d’empêcher odeurs et pollens de s’échapper des installations. Les mesures de sécurité exigées sont imposantes : barrières physiques, systèmes de vidéosurveillance et de détection des intrusions, registre des visiteurs et suivi très serré pour qu’aucun gramme d’herbe ne se retrouve sur le marché noir. Des mesures dignes d’une prison ? « Ça y ressemble, oui », s’amuse Stéphane Papineau, qui n’a pas souhaité nous montrer ses installations.
Les connexions des nouveaux géants de l’or vert avec le pouvoir politique sont troublantes
Impossible de vendre du cannabis récréatif au Québec sans passer par le « monopole d’État » qu’est la SQDC, seul marchand autorisé, qui va ouvrir vingt boutiques dans un premier temps. On y trouvera un total de 150 produits, fleurs fraîches et séchées, huile, gélules et joints préroulés. La SQDC a signé des contrats avec six fournisseurs, dont trois seulement (Hexo, Canopy Growth et Aurora Vie) ont des implantations au Québec.(...)
Ces six producteurs vont se partager un généreux gâteau : la première année, la SQDC va acheter 58 tonnes de chanvre. Dotée d’une mission de santé publique, elle offrira un certain nombre de produits à partir de 5,25 dollars canadiens (3,50 euros) le gramme, afin de lutter contre le marché noir sans encourager la consommation. L’institut canadien de la statistique évalue que près de 6 milliards de dollars canadiens (4 milliards d’euros) sont dépensés chaque année dans le cannabis au Canada.
La compagnie Hexo, basée à Gatineau, dans l’ouest du Québec, est la principale bénéficiaire du marché québécois(...)
L’entreprise, dont la valeur boursière atteint 1,6 milliard de dollars canadiens (1 milliard d’euros), multiplie les investissements au Canada et ailleurs : elle a des visées sur le marché européen et entend s’installer en Grèce, où le cannabis thérapeutique a été légalisé en mars 2018.(...)
Les connexions des nouveaux géants de l’or vert avec le pouvoir politique sont troublantes. Un cofondateur de Hexo, Adam Miron, a été directeur national du Parti libéral du Canada, de Justin Trudeau, l’actuel Premier ministre du pays. Autre exemple : Chuck Rifici, chef des finances de ce même parti jusqu’en 2016, a cofondé le plus gros producteur mondial de cannabis thérapeutique, la compagnie ontarienne Canopy Growth (cotée en bourse à 15 milliards de dollars canadiens, soit 10 milliards d’euros). La liste d’anciens politiciens convertis en ténors du pot est longue.
La démocratisation de la production, une question d’économie locale
Le gouvernement fédéral assure pourtant qu’il veut ménager une place pour les petits producteurs. Une nouvelle catégorie, bénéficiant d’un règlement assoupli, a été créée : il s’agit des microproducteurs, qui cultiveront moins de 200 m² et n’auront pas besoin de caméra de surveillance ou de système d’alarme. Peut-on pour autant parler d’une véritable démocratisation de l’activité ? (...)
Le Bloc pot dénonce une « reprohibition » de la petite feuille verte : le cannabis est encore inscrit dans le Code criminel. Producteurs et revendeurs illégaux risqueront toujours la prison, et de nouvelles infractions ont même été créées — par exemple, fournir de la marijuana à un mineur pourra être passible de 14 ans d’emprisonnement.(...)
tout le modèle d’affaires de l’oligopole de gros producteurs est fondé là-dessus. Car quelle est la valeur du pot s’il n’est pas prohibé ? À peu près rien, ce n’est qu’une plante verte ! »
Une plante verte sans valeur certes, mais qui fait toutefois bien des fortunes au Canada.(...)
UNE CULTURE PLUTÔT PROPRE
Hexo, l’un des six fournisseurs officiels de la Société québécoise du cannabis, dit n’utiliser aucun pesticide chimique dans ses serres et publie sur son site internet les analyses réalisées par un laboratoire extérieur. De son côté, Stéphane Papineau affirme qu’il ne met « pratiquement pas de pesticides », et que Santé Canada, qui a dressé une liste de produits autorisés, est également très sévère en la matière.(...)
Ni Hexo ni Vert Mirabel n’ont accepté de nous laisser visiter leurs installations, mais Hexo nous a fourni des photographies de ses installations.