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Mediapart
Après la tempête Alex, à qui ont profité les millions de la reconstruction ?
#corruption #France #urgenceclimatique
Article mis en ligne le 11 juillet 2023

Cela fera bientôt trois ans que la tempête Alex a dévasté trois vallées montagneuses de l’arrière-pays niçois. Dans la nuit du 2 au 3 octobre 2020, le fleuve Roya et les rivières Vésubie et Tinée, gonflés par des pluies soudaines et torrentielles, ont tout emporté sur leur passage. Outre son dramatique bilan humain (10 morts et 8 personnes dont les corps n’ont jamais été retrouvés), la tempête Alex a causé des dégâts irrémédiables à 250 maisons, détruit 100 kilomètres de routes, emporté 20 ponts, 17 stations d’épuration et même des pans entiers de deux cimetières.

L’ampleur des destructions, jamais vue en France depuis la Seconde Guerre mondiale, a coupé du monde plusieurs villages pendant des mois. Les dégâts sont estimés par les services de l’État à un milliard d’euros : 210 millions pour les particuliers et les entreprises, le reste pour les infrastructures publiques. Aujourd’hui, 70 % des sinistré·es ont été indemnisé·es et les travaux d’urgence ont été réalisés. Il manque encore des portions de routes secondaires et des ponts, mais les vallées ont repris vie.

Cependant, depuis le mois d’avril, l’effervescence de la reconstruction a fait place aux doutes et aux questionnements. Plusieurs chantiers, pas encore achevés, ont été brutalement interrompus le 17 avril. Deux jours plus tard, le président de la métropole Nice-Côte d’Azur Christian Estrosi réunissait les maires de la Tinée et de la Vésubie pour les informer que le directeur général des services (DGS) de la métropole avait effectué un signalement au procureur de la République de Nice, portant à sa connaissance « des manquements graves au respect des règles de la comptabilité publique » concernant des marchés de travaux de reconstruction des vallées de la Tinée et de la Vésubie. Dans la foulée, une quinzaine d’agents de la métropole, dont plusieurs hauts fonctionnaires territoriaux, ont été suspendus, sans que leurs noms ou leurs fonctions soient rendus publics.

Le signalement, daté du 28 février, a provoqué l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Nice, confiée à la section de recherche de la gendarmerie nationale de Marseille.

L’arrivée d’un nouveau responsable

Dès le 21 avril, deux jours après les déclarations publiques de Christian Estrosi, des dizaines de gendarmes effectuaient des perquisitions dans plusieurs locaux de la métropole, notamment les subdivisions de travaux de la Tinée et de la Vésubie, ainsi qu’au siège d’une dizaine d’entreprises bénéficiaires des marchés publics.

L’enquête judiciaire vise des infractions de « détournement de fonds publics par une personne dépositaire de l’autorité publique », d’« escroquerie », de « faux », d’« usage de faux » et de « recel de ces infractions », passibles de 10 ans d’emprisonnement et d’un million d’euros d’amende.

Après avoir été congratulés pour leur engagement, leur rapidité et leur dévouement dans l’urgence après la tempête, des fonctionnaires responsables des travaux et des patrons d’entreprises de travaux publics font aujourd’hui l’objet de lourds soupçons. (...)

Le président de la métropole a refusé de répondre aux questions de Mediapart, en raison de l’enquête en cours.

Dans la vallée de la Vésubie, en revanche, les langues commencent à se délier. Des voix s’élèvent pour dénoncer la manière dont les travaux de reconstruction ont été effectués : marchés passés sans publicité ni ouverture à la concurrence au nom de l’« urgence impérieuse », dérogations au droit de l’environnement au nom de l’« urgence à caractère civil »… Tous les ressorts possibles ont été utilisés pour laisser libre cours aux travaux des collectivités.

Justifiées lorsqu’il s’agissait de rétablir des routes et des réseaux, dans l’urgence, dans les mois qui ont suivi la tempête, ces procédures dérogatoires ont été généreusement prolongées par l’État. Trop généreusement ?

C’est en tout cas ce que pense une association citoyenne, Faire revivre la Vésubie, créée en février 2022 à l’initiative de deux septuagénaires combatives, Arlette Cornillon, habitante de Roquebillière, et Jeannine Blondel, vice-présidente de France Nature Environnement 06. (...)

Pendant que les élus polémiquent, les militantes de Faire revivre la Vésubie ne peuvent que constater, avec amertume, que les entreprises de travaux publics ont prospéré, que les infrastructures touristiques, même les plus improbables (comme un bassin de baignade dans le lit de la rivière) sont remises en état avec une rare célérité, tandis que les cimetières emportés par la crue sont encore en déshérence et que les stations d’épuration n’ont toujours pas été reconstruites.