
Alors qu’en Italie, les responsables des morts de l’amiante ont été condamnées, la justice française reste toujours du côté de l’industrie. Pour l’amiante comme pour le nucléaire, les coupables restent à l’abri.
La protection sanitaire des citoyens français ne peut être assurée tant que dure la collusion organisée entre industriels, politiques et institutions de recherche. L’affaire de l’amiante exhibe les failles de la justice française : la non condamnation des moeurs du comité permanent amiante (CPA) ouvre la voie à d’autres désastres. Tout le monde pense aux pesticides (le chlordécone aux Antilles), aux perturbateurs endocriniens diffus (les phtalates dans les plastiques) ou aux nanoparticules (les nanotubes de carbone aux effets similaires à l’amiante).
« La différence entre l’Italie et la France, c’est l’indépendance des procureurs », a souligné, samedi 25 février, le procureur de la République de Turin, Raffaele Guariniello, invité à s’exprimer au Barreau de Paris sur « les crimes sociaux et environnementaux : nouvelles frontières de la responsabilité pénale ». (...)
Les politiques se protègent
Et les dégâts se poursuivent, à l’autre bout de la planète.
Le Canada continue à exporter son minerai, le chrysotile, dans les pays en développement (100 000 tonnes par an). En Inde, dix nouvelles usines de ces plaques de ciment à l’amiante vont voir le jour, rien que cette année. Les Indiens commencent bien à s’inquiéter des répercussions de l’amiante sur la santé, les manifestations se multiplient. Mais la Cour suprême indienne a refusé un recours qui visait à interdire ce produit. L’Inde va donc sans doute rester encore longtemps le premier importateur mondial d’amiante, la Chine, elle, en produit.
Et ce n’est pas un hasard si le repreneur potentiel de l’une des deux mines québécoises est un Canadien d’origine indienne, déjà très impliqué dans le commerce entre les deux pays. (...)
L’Inde, l’Indonésie, les Philippines sont devenus les nouveaux marchés de l’amiante canadienne.
On constate ainsi que dans l’Hexagone, les pouvoirs en place ne tirent aucune leçon des compromissions gravissimes repérées dans les affaires du sang contaminé, de l’hormone de croissance ou même de la catastrophe de Tchernobyl. Pour en sortir, une véritable inspection des services judiciaires devrait être ordonnée. (...)
Pour Jean Paul Teissonnière, avocat de l’Association nationale des victimes de l’amiante (ANDEVA), « le droit pénal ne donne pas les instruments pour attraper une réalité, celle d’exploitants qui continuent une activité dont ils savent pertinemment la dangerosité. Si le droit pénal ne joue pas son rôle symbolique en énonçant les interdits, nous nous exposons à reproduire les mêmes catastrophes, avec les nanoparticules ou les cancérogènes notamment les perturbateurs endocriniens ». Notons que l’avocat parisien est poursuivi pour diffamation par la direction française du groupe Eternit, suite à la publication d’une interview donnée à Télérama. (...)
Le procès de Turin constitue aujourd’hui un phare dans l’océan de l’impunité organisée. Et le procureur Raffaele Guariniello n’a pas l’intention de se laisser enfermer dans sa botte italienne ! Il sait que des extractions d’amiante se poursuivent au Canada, en Chine et au Brésil pour utilisation en Inde, aux Philippines et en Indonésie.
Il en appelle à la création d’un « parquet européen » pour mener des enquêtes ou perquisitions transfrontalières rapides et efficaces. « Les crimes voyagent à la vitesse de la lumière, la justice se déplace encore en diligence », constate le magistrat italien qui estime que « l’Europe est un paradis pénal ».
Un autre défi réside dans l’alliance des associations de victimes (...)
Si l’Alliance pour la planète ne s’est pas ranimée en ces temps électoraux, il est probable qu’une « Alliance pour les vivants » voie prochainement le jour, comme un « système immunitaire » contre « l’insoutenable ». Le livre de Robert Proctor, Golden Holocaust [4], qui paraît ces jours-ci aux Etats unis sur les cigarettiers et la formidable « ingénierie du consentement » qui les porte achèvera de convaincre.