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Amazon prêt à tout pour tuer une loi sur les frais de port des livres
#Amazon #livres #lobbying
Article mis en ligne le 29 juin 2023

Le géant du commerce attaque l’État français, dans une nouvelle tentative de faire annuler un arrêté qui le contraindra à facturer l’envoi de livres. Récit d’un féroce lobbying.

A quoi reconnaît-on une multinationale au faîte de sa puissance comme Amazon ? Elle ose tout. Détourner l’esprit des lois, se livrer à un lobbying sans retenue auprès de ministres et de parlementaires, exercer un chantage à l’emploi et, depuis hier, attaquer l’État pour excès de pouvoir. Rien de moins. Objectif du géant de l’e-commerce : tenter de faire annuler un arrêté ministériel qui le contraindra à facturer des frais de port de 3 euros pour l’envoi de toutes commandes de livres dont le montant n’excède pas 35 euros, à compter du 7 octobre prochain.

Une mesure visant à mettre fin au dumping de la multinationale américaine sur le marché de la vente en ligne, entre des libraires contraints de s’acquitter de 6 à 8 euros de frais postaux par livraison et Amazon qui les facture 0,01 euro dans le seul but d’écraser toute concurrence. (...)

À l’origine, le géant américain ne facturait rien pour les livres commandés sur sa plateforme. Pour lui, le livre n’a jamais représenté qu’un produit d’appel sur lequel il pouvait se permettre d’abandonner sa marge. Les bénéfices, il les tirait du reste de son activité : des milliards d’euros de chiffre d’affaires réalisé sur d’autres produits dont, pour le coup, il facture les frais d’envoi. Problème : les libraires se trouvent, eux, dans l’impossibilité de ne pas les faire payer, sauf à vendre à perte.

Cette pratique de la multinationale s’avérait donc redoutable pour eux et s’apparentait par la même occasion à un contournement de la loi Lang sur le prix unique du livre (...)

C’est la sénatrice (LR) Laure Darcos qui mène finalement le combat. En 2021, elle présente une proposition de loi destinée « à conforter l’économie du livre et à renforcer l’équité et la confiance entre ses acteurs ». Elle sera votée à l’unanimité au Sénat comme à l’Assemblée nationale, en dépit d’un lobbying féroce d’Amazon.

Son directeur monde du livre fera le voyage de Seattle pour rencontrer à Paris la ministre de la Culture de l’époque, Roselyne Bachelot. Il lui explique qu’elle ne se rend pas compte à quel point les lecteurs sont démunis pour trouver un livre dans de nombreux coins de France et qu’Amazon est heureusement là pour y remédier. Elle lui rétorque qu’elle est provinciale et connaît parfaitement le réseau de distribution des livres dans l’Hexagone. Fermez le ban. (...)

Trois jours plus tard, c’est le directeur des affaires publiques d’Amazon Europe, Yohann Benard, qui s’y colle et rencontre Laure Darcos. Le lobbyiste est un homme de réseau bien implanté dans les hautes sphères de l’État. Conseiller d’État, ancien conseiller technique de François Fillon à Matignon, ancien directeur adjoint de Christine Lagarde à Bercy.

« Il m’a proposé un deal purement commercial, raconte la sénatrice. Je me souviens très bien de ses propos : “Nous sommes prêts à faire un effort commercial mondial pour aligner les frais de port du livre autour de 2 euros comme pour les autres biens de consommation, à une seule condition : vous retirez votre mesure dans la loi pour qu’elle ne bénéficie pas aux petits libraires.” » Il fallait oser. « Ils se croient tout permis, analyse Laure Darcos. Des dirigeants d’entreprise normaux auraient dû se frotter les mains à l’idée de facturer un peu plus au consommateur et de gagner ainsi plus d’argent. S’ils étaient aussi furieux, c’est que leur objectif n’est pas de gagner plus d’argent avec le livre, mais de conquérir une position monopolistique sur ce marché. » (...)

Ce qu’Amazon n’a pas réussi en contournant une première loi, puis en faisant tout pour qu’une deuxième loi soit vidée de sa substance, la multinationale entend désormais y parvenir par le biais de la justice. Au Conseil d’État, maintenant, de se prononcer, en prenant en compte tous les éléments juridiques, économiques et sociétaux de cette affaire. En espérant qu’il saura juger en équité, loin des pressions de l’entreprise américaine. Pas gagné d’avance.