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le monde diplomatique
Aimé Césaire, l’irréductible
Article mis en ligne le 31 mai 2019
dernière modification le 29 mai 2019

La destinée posthume d’Aimé Césaire (1913-2008) rappelle, toutes proportions gardées, celle de Nelson Mandela. Célébré, étudié, salué rituellement par les autorités de tous bords, panthéonisé (ou peu s’en faut) par M. Nicolas Sarkozy, l’écrivain martiniquais prend peu à peu la figure d’un aimable poète, d’un humaniste bien-disant et passe-partout. On oublie ainsi qu’il fut un militant opiniâtre, en même temps qu’un professionnel de la politique (...)

Les cinq volumes d’Écrits politiques (1) désormais disponibles ont pour premier mérite de rappeler la place que les affaires publiques occupèrent dans sa vie. Ils réunissent, à côté de quelques classiques (comme le Discours sur le colonialisme), une multitude de textes méconnus, qui témoignent de l’activité quotidienne d’un élu et d’un dirigeant de parti (...)

Au-delà de cet intérêt documentaire, l’ensemble permet de voir comment s’articulent l’idéal poétique et l’action politique, et comment l’absolu passe au tamis du réel. En poésie, Césaire avait fait sien le credo hégélien selon lequel on va à l’universel par l’approfondissement du particulier. Dans l’ordre politique, cette dialectique de la partie et du tout renvoyait à un problème concret, et central : le rapport de la Martinique avec la France. Soucieux de rompre avec le vieil ordre colonial, Césaire fut d’abord partisan de l’assimilation et obtint la départementalisation de l’île. Mais, voyant que cela ne suffisait pas à transformer le sort des Martiniquais, il réclama ensuite une large autonomie régionale, sans aller jusqu’à prôner l’indépendance. Adversaire résolu du pouvoir central, il parvint, à partir de la présidence de François Mitterrand et des lois de décentralisation, à des rapports plus apaisés avec Paris. Ces évolutions lui valurent bien des critiques — pour avoir radicalisé son discours ou, au contraire, tempéré son anticolonialisme.

Mauvais procès. Car, en parcourant ce recueil, on constate que Césaire ne varia pas significativement dans ses objectifs. Mais, pragmatique, il chercha les formes et les formules les plus pertinentes dans une situation donnée. (...)

D’un volume à l’autre s’affirment une même force protestataire, le même « esprit irréductible ». Celui d’un « nègre fondamental » qui pouvait, sans mentir, déclarer : « Je ne baisserai jamais la tête devant un préfet parce que je ne suis pas courtisan. Je me fous des ministres (...). J’aurais pu faire carrière et me contenter d’un strapontin et être un sous-ministre nègre, mais cela ne m’intéresse pas, je crache sur cela. »