
En juillet 2015, Mohammed Lamin*, Gambien de 26 ans, avait été tiré d’une embarcation de passeur malmené par la Méditerranée. À bord du bateau de sauvetage, il avait raconté à IRIN ses espoirs de voir sa chance tourner en Europe. Nous avions également parlé avec sa famille restée en Gambie, qui espérait que M. Lamin trouverait du travail en Europe et pourrait non seulement rembourser le prix de son voyage, mais aussi tous les sortir de la pauvreté. Louise Hunt a retrouvé M. Lamin dans le nord de l’Italie pour découvrir si ses rêves s’étaient réalisés.
Malgré la bruine et le froid qui glace les os en ce jour de février, M. Lamin est assis sur un banc dans un parc. C’est l’un des rares endroits de cette ville aisée où il peut passer du temps hors de son hôtel sans dépenser l’argent qu’il n’a pas.
Tous les bancs qui entourent le majestueux cercle de gazon et ses fontaines sont occupés par des hommes d’Afrique subsaharienne. M. Lamin s’approche d’un groupe entassé sur un banc voisin pour demander du feu et discute un moment avec eux. « Ce sont mes gars de l’hôtel », explique-t-il.
Après un court séjour dans un centre d’accueil à Pozzallo, en Sicile, où il a débarqué du bateau de la Station d’assistance offshore pour les migrants qui l’a secouru, M. Lamin a été enregistré comme demandeur d’asile à Milan et envoyé dans cette ville proche de Venise (il a demandé de ne pas en révéler le nom au cas où sa demande d’asile serait rejetée).
Pour l’instant, il vit dans un hôtel bas de gamme situé en périphérie de la ville médiévale et récemment converti en hôtel pour demandeurs d’asile. Le nombre de demandeurs d’asile ayant doublé, une multitude de centres d’accueil aussi insolites que celui-ci sont apparus ces deux dernières années aux quatre coins de l’Italie.
Vêtu avec soin d’un jean et d’un blouson issus de dons, M. Lamin dit qu’il est l’un des plus anciens résidents de l’hôtel. « La plupart des gens qui sont arrivés avec moi ont été installés dans des appartements, mais moi j’ai voulu rester. »
Son caractère travailleur et affable a vite fait bonne impression et on lui a rapidement proposé de travailler dans la cuisine de l’hôtel, aux côtés d’un chef lui aussi Gambien. Pour son travail, M. Lamin gagne 35 euros par mois et la possibilité d’un emploi dûment rémunéré s’il parvient à régulariser sa situation.
« Ils m’ont dit que si je suivais sérieusement mes cours d’italien et que j’obtenais mes papiers, ils voulaient me donner du travail. » (...)
Sa nouvelle vie en Italie n’est pas celle qu’il imaginait. « On ne peut pas savoir avant de venir ici », dit-il. « Ce parc est rempli de gens désœuvrés : tout le monde attend ses papiers. Certains regrettent d’être venus et ne peuvent pas rentrer chez eux. » (...)
Ceux qui, comme M. Lamin, ont réussi à déposer une demande d’asile avant l’entrée en vigueur du nouveau système fin 2015 attendent de plus en plus longtemps une réponse, car en Italie, les dossiers s’accumulent. Même s’ils se voient délivrer un permis de séjour temporaire les autorisant à travailler deux mois après avoir déposé leur demande, leurs chances de trouver du travail sont très minces.
En Italie, le taux de chômage est de 11 pour cent et monte jusqu’à 38 pour cent pour les jeunes. « Même si vous avez un permis de séjour, c’est très difficile de trouver du travail », confirme M. Lamin. Le principal obstacle est la barrière de la langue, dit-il, mais les migrants sont en outre confrontés à l’hostilité de la population locale et se disent victimes de racisme.
Après tout ce que ces jeunes hommes comme M. Lamin ont risqué pour atteindre l’Europe, il leur est difficile d’accepter que leur seule récompense soit cette sombre vie sans emploi. (...)
M. Lamin a laissé sa femme et son bébé au Sénégal, où il travaillait, et une famille nombreuse en Gambie. Il n’a pas les moyens de leur parler plus d’une fois par mois. « Si j’obtiens mes papiers, je pourrai travailler et essayer de retourner voir ma famille. Tout ce que je veux c’est les voir — ils me manquent tellement », dit-il.
Au début, il regrettait d’avoir fait le voyage. « Je voulais rentrer, mais maintenant il faut que j’essaye d’obtenir mes papiers. Je veux apprendre l’italien et travailler ici pour pouvoir aider ma famille. »
Il économise autant qu’il peut sur ses 75 euros d’allocations de demandeur d’asile et il envoie ce qu’il ne dépense pas à sa famille : un mois à ses parents, le suivant à sa femme.
« Je ne veux pas que mes enfants connaissent les mêmes difficultés. Je veux que mon fils aille à l’école. Alors je me suis dit “je dois me sacrifier pour eux, il faut que je tente ma chance”. » (...)