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Libération
A qui profite le rire ?
Par Océanerosemarie , Auteure et comédienne — 29 décembre 2017
Article mis en ligne le 2 janvier 2018
dernière modification le 1er janvier 2018

A quoi sert l’humour, et surtout, qui sert-il ? s’interroge l’humoriste Océanerosemarie. Si l’on peut rire de tout, encore faut-il savoir le faire avec et non contre.

« Peut-on (encore) rire de tout ? » titrait il y a quelques jours le Parisien, posant une double question : a-t-on moins de liberté aujourd’hui en tant qu’humoriste quant aux sujets qu’on peut aborder, et quel est cet « avant », ce temps béni des… oups, je m’égare, ce temps où on pouvait rire de tout et où le « vivre ensemble » régnait, paraît-il, sur la société française ?

Force est de constater une immense confusion dès qu’on parle d’humour et de « liberté d’expression ». Apparemment l’humour serait un lieu sacré et intouchable, et exprimer toute opinion quant à ce qui est drôle ou pas est immédiatement perçu comme du fascisme et assimilé à de la « censure »…

Petit préalable à mon propos : je tiens à rappeler que je n’ai pas le pouvoir de la censure. En effet, la censure vient par définition de l’Etat et des lieux de pouvoir – auquel ni moi ni mon amie Rokhaya Diallo n’appartenons (pas faute d’avoir tenté hein !). Néanmoins, tous ces défenseurs de la liberté sont d’accord, et moi avec, pour que Dieudonné n’ait plus droit à la parole dans les médias traditionnels parce que lui, c’est « de l’incitation à la haine et plus de l’humour ». Charlie Hebdo, qui s’autoproclame grand maître de l’humour noir et que si-on-trouve-pas-ça-drôle-c’est-qu’on-est-vraiment-des-gros-cons-coinços, journal sans limite aucune, disent-ils, ont pourtant viré Siné en trois minutes en expliquant que ses dessins « pouvaient être interprétés comme faisant le lien entre la conversion au judaïsme et la réussite sociale, et ce n’était ni acceptable ni défendable devant un tribunal ». On est donc d’accord : l’antisémitisme n’est pas acceptable, même déguisé en blague !

« J’le connais il est pas raciste ! »
Mais Riss, dans son dernier édito, fait mine de n’avoir toujours pas compris la différence entre « rire avec » et « rire contre ». Quand le journal, au lendemain des attentats de Barcelone titre « Islam, une religion de paix » avec un dessin de cadavres, il manque à mon sens une occasion unique de « rire avec » : en effet, les musulmans sont de loin la première cible des terroristes. Charlie Hebdo aurait donc eu tout le loisir d’acter ce sinistre point commun et de rire avec les musulmans, et avec tout le cynisme qui les caractérise, contre Daesh, non ? Bah non. C’est plus marrant de rire contre les musulmans et de faire, une fois encore, l’amalgame entre une religion et des terroristes politiques. C’est plus marrant ou… ça fait plus vendre ? Je vous laisse juger.

Mais alors, à quel moment ce n’est plus de l’humour ? Ça commence quand, « l’incitation à la haine » ? Et surtout, qui a la légitimité de définir cette limite entre gaudriole et violence ? Je me permets une hypothèse : et si c’était, tout simplement, les concerné·e·s ? (...)

Et en tant qu’humoriste, il me semble fort intéressant de nous demander à quoi servent nos blagues et surtout qui elles servent. A l’accusation « qu’est-ce qu’on va se faire chier si on peut plus rire de tout ! » ce « tout » désignant implicitement les disciminé·e·s, je réponds que beaucoup d’humoristes aujourd’hui parviennent à être très drôles, sur tout, sans dégueuler haine ni mépris. (...)

La question n’est pas de créer des tabous, mais de prendre en compte une réalité : si toute la journée à la télé on balance des blagues sexistes, qui dédramatisent le viol, le racisme, l’homophobie etc, et ben devinez quoi ? Les actes racistes, sexistes, homophobes etc. s’en retrouvent banalisés et progressent. C’est pas moi qui le dis mais des sociologues qui se sont penchés sur la question.

Il me semble donc intéressant de quitter cette posture de « oh ça va c’est de l’humour » comme si l’humour était déconnecté d’un contexte social et qu’ils ne s’interpénétraient pas. Et arrêtez de dire que bientôt on ne pourra plus faire de blagues sur les Bretons ou les pigeons. Ni les uns ni les autres ne subissent de discrimination de la part de l’Etat, de l’entreprise, dans l’accès au logement ! (...)

Donc oui, nous sommes d’accord, on peut rire d’absolument tout : la pédophilie, le handicap, les religions, les homos, le viol… Encore faut-il avoir le talent et la générosité de le faire en incluant et non pas en écrasant.