
Le train pour le climat a convoyé ses 700 passagers vers Varsovie. 35 heures de train pour moins de 24 heures sur place. Et un succès sur toute la ligne malgré les tracasseries policières. Sans oublier une rencontre cruciale avec les syndicats de Pologne, pour unir écologie et travail.
Reportage, Bruxelles-Varsovie-Bruxelles
A moins d’être sourd et aveugle, il était difficile, vendredi 15 novembre, d’ignorer qu’un train spécial quittait la gare du Midi de Bruxelles avec 700 jeunes à son bord vers Varsovie. Dès 17h dans le grand hall de la gare, des centaines étaient déjà présents avec sacs, banderoles et calicots, entonnant en coeur les nombreux slogans qu’ils comptaient crier le lendemain dans la capitale polonaise, pour le grand plaisir des autres voyageurs…
“What do we want ?” “Climate justice !!” “When do we want this ?” “Now” s’écrie la foule dans la gare. [- Ce que nous voulons ? - La justice climatique ? - Quand le voulons-nous ? - Maintenant !]
La presse est là en nombre. La télévision belge bien-sûr, mais aussi des médias allemands, britanniques et français. Il faut dire que ce “convoi exceptionnel”, rempli de jeunes gonflés à bloc est à la fois étonnant et interpellant, à l’heure où plus personne ne semble s’intéresser au climat. Affrêté par deux jeunes Gantois [habitants de Gand] il y a quelques mois, le train a largement dépassé les 600 participants prévus. Les inscriptions de dernière minute se sont multipliées. Et au moment d’embarquer, c’est la cohue dans les neuf wagons du train. (...)
Il y a là des syndicalistes, des ONG, des organisations de jeunesse politique, des organisations environnementales, des associations étudiantes... Il y a beaucoup de jeunes, des très jeunes même, comme cette jeune Liégeoise qui a obtenu de sécher les cours lundi à condition de faire un compte-rendu du voyage devant sa classe. Il y aussi des plus âgés, des retraités, des vétérans du “Train pour Copenhague” en 2009. Il y a même deux bébés et deux députés ! (...)
Après une nuit calme à traverser l’Allemagne jusqu’à l’Oder sans pépin ni incident, les 700 voyageurs sont brutalement réveillés par les forces de l’ordre qui annoncent un contrôle de tous les voyageurs. Le train est immobilisé peu après la frontière, et ce sont pas moins de 400 policiers qui montent à bord, parfois avec des chiens, pour contrôler les papiers et fouiller les wagons de fond en comble.
L’opération durera plus de deux heures. Il se murmure que les autorités polonaises veulent retarder l’arrivée du train à Varsovie où une manifestation doit débuter à 14h30. Mais malgré trois voyageurs sans carte d’identité, le train repart avec tout le monde à son bord. Il sera escorté pendant cinq heures par un hélicoptère de la police. Et dans chaque gare traversée tout au long du trajet, les passagers verront par la fenêtre une escouade de CRS suréquipés. Le ton est donné. (...)
Arrivée donc à 13h15 à la gare de Varsovie où un impressionnant comité d’accueil attend les manifestants. Plus de deux mille policiers ont été mobilisés pour encadrer la manifestation. Pour éviter les débordements éventuels, mais aussi, selon une rumeur, parce que des éléments d’extrême-droite ont annoncé leur intention de s’en prendre à ces “fauteurs de trouble”, venus de si loin pour bousculer le système. Il faut dire qu’en Pologne, le pays du charbon, la transition énergétique est un concept qui fait peur. (...)
Derrière eux, OXFAM entonne en boucle la chanson “Bella Ciao” dont les paroles ont été réécrite par les ONG membre de la Coalition climat. (...)
Il y a quelques semaines encore, les syndicats polonais avaient prévu d’organiser une contre-manifestation pour protester contre la venue du train. Et c’est une des première fois que les Verts et les syndicats se retrouvent autour d’une même table. Car l’écologie fait peur en raison du contexte social difficile en Pologne.
“Les changements se sont toujours produit dans la douleur”, explique le représentant syndical polonais. Depuis la chute du communisme, le pays vit dans un système économique libéral avec une sécurité sociale beaucoup plus faible qu’en Belgique. “Il est donc logique que les gens aient peur d’un nouveau changement.”
Même si on note une ouverture du monde syndical vers les problématiques climatiques, cette ouverture reste théorique. Car pour les syndicats, le gouvernement polonais risque d’instrumentaliser la cause climatique pour les détruire. “Dans la pratique, nous n’aurons pas vraiment d’alliés le jour où nous perdrons nos emplois.”
La route est encore longue avant d’amener l’émergence d’un vrai mouvement climatique en Pologne. Reste que la présence du train aura permis aux Verts polonais de s’ouvrir aux préoccupations des syndicats.
A midi, tout le monde converge à nouveau vers la gare. C’est parti à nouveau pour 18 heures de train jusqu’à Bruxelles. Mais deux presque nuits blanches et une manifestation plus tard, le moral est toujours au zénith dans les neuf wagons du train. (...)